à Berlin, ce 16 janvier 1767
J'ai lu toutes les pièces que vous m'avez envoyées.
Je trouve le Triumvirat rempli de beaux détails. Les pièces contre l' infâme sont si fortes, que, depuis Celse, on n'a rien publié de plus frappant. L'ouvrage de Boulanger est supérieur à l'autre, et plus à la portée des gens du monde, pour qui de longues déductions fatiguent l'esprit, relâché et détendu par les frivolités qui l'énervent continuellement.
Il ne reste plus de refuge au fantôme de l'erreur. Il a été flagellé et frappé sur toutes ses faces, sur tous ses côtés. Partout je vois ses blessures, et nulle part des empiriques empressés à pallier son mal. Il est temps de prononcer son oraison funèbre et de l'enterrer. Vous défaites le charme, et l'illusion se dissipe en fumée. Je crains bien qu'il n'en sera pas ainsi des troubles intestins de Genève. J'augure, selon les nouvelles publiques, que nous touchons au dénoûment, qui causera ou une révolution dans le gouvernement, ou quelque tragédie sanglante.
Quoi qu'il en arrive, les malheureux trouveront un asile ouvert où ils le souhaitent. C'est à eux de déterminer le moment où ils voudront en profiter.
La cour de France traite ces gens avec une hauteur inouïe, et j'avoue que j'ai peine à concevoir pourquoi sa décision se trouve actuellement diamétralement opposée à celle qu'elle porta sur la même affaire, il y a trente années. Ce qui était juste alors doit l'être à présent. Les lois sur lesquelles cette république est fondée n'ont point changé; le jugement devait donc être le même. Voilà ce que l'on pense dans le nord sur cette affaire; peut-être dans le sud fait on des gloses sur la liberté de conscience sollicitée pour les dissidents. Je me suis fourré dans la comparsa, et n'ai pas voulu jouer un rôle principal dans cette scène. Les rois d'Angleterre et du nord ont pris le même parti; l'impératrice de Russie videra cette querelle avec la république de Pologne comme elle pourra. Les dissensions polonaises et les négociations italiennes sont à peu près de la même espèce; il faut vivre longtemps et avec une patience angélique pour en voir la fin.
Je vous souhaite, en attendant, la bonne année, santé, tranquillité et bonheur et qu'Apollon, ce dieu des vers et de la médecine, vous comble de ses doubles faveurs. Vale.
Federic