1766-10-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Cosimo Alessandro Collini.

Mon cher ami, vous savez que la renommée a cent bouches, et que pour une qui dit vrai il y en a quatrevingt dix neuf qui mentent.
Il y a plus de deux ans que je ne suis sorti de ma maison, et qu'à peine j'ai pu aller dans le jardin cinq ou six fois. Vous voiez que je n'étais pas trop en état de voiager. Si j'avais pu me trainer quelque part ç’aurait été assurément aux pieds de vôtre adorable maître; et je vous jure encor que si j'ai jamais un mois de santé tolérable vous me verrez à Schwetzingen, mes soixante et treize ans ne m'en empêcheront pas, les passions donnent des forces.

Voicy ce qui a donné lieu au bruit ridicule qui a couru. Le Roi de Prusse m'avait envoié cent écus pour ces malheureux Sirven, condamnés comme les Calas, et qui vont enfin être justifiés comme eux. Le Roy de Prusse me manda même qu'il leur offrait un azile dans ses états. Je lui écrivis que je voudrais être en état de venir les lui présenter moimême; il montra ma Lettre. Ceux à qui il la montra mandèrent à Paris que j'allais bientôt en Prusse. On broda sur ce canevas plus d'une histoire. Dieu mercy, il n'y a point de mois où l'on ne fasse quelque conte de cette espèce. Un polisson vient d'imprimer quelques unes de mes Lettres en Hollande. Je suis accoutumé depuis très longtemps à ces agrèments attachés à une malheureuse célébrité. Ces Lettres ont été falsifiées d'une manière indigne. Il faut souffrir tout celà, et j'en rirais de bon cœur si je me portais bien.

Mettez moi aux pieds de Leurs Altesses Sérénissimes, mon cher ami, présentez leur mon profond respect et mon attachement inviolable. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

V.