27e Mars 1764
J'ai à peine le temps, mon cher frère, de vous remercier en deux mots de tout ce que vous m'avez écrit de charmant le 22e Mars.
Les belles Lettres sont dans un étrange avilissement à Paris; mais je me trompe, ce ne sont pas les belles lettres, ce sont les vilaines, les infâmes lettres. C'est la satire sans sel, la grossièreté sans esprit, l'envie sans aucune raison d'être envieux, la méchanceté dans toute sa laideur. Plus on cherche à mordre nôtre ami Platon, et plus je lui suis attaché. Vôtre zèle pour la saine littérature est infatigable. Vous êtes bien loin de ressembler à ceux qui ont le temps d'aller diner tous les jours très loin de chez eux, et qui n'ont pas le temps pendant six mois d'écrire une seule lettre à leurs amis. Ceux là glacent le cœur, et vous l'échauffez. Voicy le petit billet que vous avez la bonté de me demander. Je serais fort étonné si l'on permettait actuellement la Tolérance. J'ai toujours pensé qu'il fallait attendre, mais mon cher frère voit les choses de plus près et mieux que moi. Je crois que frère Gabriel Cramer a fini d'imprimer les Contes de Guillaume Vadé. Il y a des choses un peu vives; on y a ajouté quelques morceaux de Jérome Carré. Jérome et Guillaume sont des gens hardis, mais la plaisanterie fait tout passer. Vous pourez dire dans l'occasion aux gens difficiles, que c'est un recueil de plusieurs polissons, dont aucun ne se donnant pour un homme sérieux, ne mérite pas d'être éxaminé à la rigueur. Adieu mon très cher frère.