Paris ce 19 Juillet [1766]
Après avoir eu l'honneur, Monsieur, de vous écrire j'ai vû le libraire qui est en correspondance avec MM. Cramer pour lui conseiller de ne prendre aucune voye détournée pour faire venir de l'ignorant.
Il m'a répondu que le ballot étoit déjà en chemin, qu'il n'y avoit pas moyen de faire rebrousser chemin au Voiturier, mais qu'il arrêteroit ce pacquet aux environs de Paris et qu'il ne l'y feroit point entrer. Je prierai M. d'Amilaville de se joindre à moi pour empêcher que ce libraire me manque de parole. Il est des tems où l'on peut tout risquer, il en est d'autres où les choses les plus innocentes tirent à conséquence et pour votre repos et votre tranquilité Il est bon de garder pendant quelque tems le silence. Nos tribunaux vont être occupés des actes du clergé et pendant ce tems là ils ne feront point d'acte dont la raison ait à se plaindre.
J'ai l'honneur de vous renouveller mon attachement respectueux.
M.
A propos de livres et de libraires, je voudrois vous demander un service. Vous avés entendu parler des souvenirs de mde de Caylus. Le comte de Caylus qui avoit beaucoup d'amitié pour moi me donna une copie du manuscrit de sa mère en me faisant promettre de n'en faire usage ni pendant sa vie ni pendant la vie de la personne à qui il laisseroit ses papiers. Il les avoit laissés à. m. de Bombarde qui vient de mourir.
Je serois par conséquent libre de faire imprimer ce m͞s, mais j'ai de très fortes raisons pour ne pas m'en mêler. Cet ouvrage fera sûrement du bruit, il poura déplaire à quelques familles et il n'est pas possible de le faire paroitre à Paris. D'un autre côté il est à présumer que les héritiers de M. de Bombarde ne se feront point scrupule de donner ou de vendre ce m͞s.
Je voudrois donc en profiter sans être compromis et vous me rendriés service de demander à mm. Cramer s'ils voudroient acquérir ce m͞s. Je voudrois bien en avoir une cinquantaine de Louis, s'il étoit possible, car dans ma maudite place j'ai beaucoup de travail et point de profit. Vous pensés bien, Monsieur, que dans cette négociation, il ne doit jamais être question de moi, que le secret seroit entre vous et moi seulement et je vous prierai même de vouloir bien brûler ma lettre ou me la renvoyer.
Si le marché convenoit à m. Cramer, je vous ferois parvenir le manuscrit par la poste et sans frais. Il ne formera qu'un seul volume ou deux petits.
Vous voyés, Monsieur, que j'use librement des offres de service que vous avés bien voulu me faire. Je vous en demande pardon, et j'ai lieu de compter sur vos bontés et encore plus sur le secret que je prens la liberté de vous confier.