1766-07-16, de François Louis Claude Marin à Voltaire [François Marie Arouet].

Cet Ignorant qui ne l'est pas, Monsieur, auroit eu les petites entrées sans cette queue qui se trouvoit en effet déplacée dans de malheureuses circonstances.
L'événement dont vous parlés a étonné et effrayé les âmes justes, sensibles, et honnêtes. Il n'y a personne qui (avec ces caractères) n'en ait frémi. J'en ai eu la fièvre trois jours, moi que vous parle, et votre ami M. d'Amilaville m'a trouvé dans un moment d'effervescence. La sacrée vérité qui m'a toujours dominé m'a fait parler avec imprudence sur cet objet et j'ai pensé me faire des affaires avec les puissances qui punissent avec tant de sévérité. Il n'est pas dificile de prouver que cet acte est contre la justice, contre l'humanité, contre la religion et surtout contre la politique. Mais ce n'est pas contre vous que je dois soutenir thèse; brisons là.

Ce Fréret est en vérité un terrible homme. Il emporte la pièce. MM. Covelle et Baudinet sçavent plaisanter, mais par dieu dans Fréret il n'y a pas le mot pour rire. Le Compère Mathieu est un bavard insuportable et le chantre du ballai et de la chandelle d'Arras est aussi mauvais chrétien qu'il est détestable versificateur. Vous avés raison de souhaiter que tous ces livres et leurs semblables n'entrent point en France. Aussi on y a l'œil. Toutes les portes leur sont fermées, mais il s'en est glissé quelques uns par les fenêtres. Heureusement ils sont en petit nombre et en bonnes mains.

Il n'y a encore rien de décidé sur l' encyclopédie dont vous me demandés des nouvelles. Il avoit été défendu par des ordres supérieurs d'en distribuer à Paris et je ne sçais si cette défense sera bientôt ôtée.

Adieu, Monsieur, souvenés vous toujours un peu de moi dans votre hermitage et comptés sur un homme qui vous est attaché par tous les sentimens que vous devés naturellement inspirer.

M.