10e fév: 1766 à Ferney
Il est bien cruel et bien honteux, Monsieur, que nous soions encor au 16e siècle à certains égards.
Si la chose dont vous me parlez, dépendait de mr le Duc de Choiseuil, ou de mr le Duc de Praslin, les bontés dont ils m'honorent, me mettraient en droit d'implorer leur protection avec la plus grande chaleur; mais je ne puis rien auprès de mr le cte de st Florentin. Mr De Moultou est très bien avec l'intendant de Montpellier; et peut rendre service dans cette affaire. Je vous conseille de lui en écrire. Je n'ai jamais tant regretté d'être inutile. J'ai perdu successivement beaucoup d'amis par la mort et encor plus par l'absence. Je ne sçais pas comment je pourai me tirer de l'affaire des Sirven; elle est bien épineuse. Nous ne trouvons point d'éxemple de la grâce que nous demandons au Roy. Il est vrai que la famille des Sirven est dans un cas singulier qui doit servir d'exemple. Mais que ferons nous sans protection? peut être ne réussirons nous qu'à montrer à l'Europe quel éxcez de fanatisme règne encor en France, et quelle a été la fureur de nos prêtres de persuader au peuple et aux juges que la première loi de vôtre Religion est d'égorger vos enfans quand on craint qu'ils ne la quittent.
Tantum religio potuit suadere malorum. Les Turcs sont plus honnêtes que nous, sans aucune comparaison. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec des sentiments inaltérables, vôtre très humble et très obéissant serviteur.
V.