1762-10-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

Ma cour a été suffisamment garni de pairs, mon cher philosophe.
Le fracas de nos plaisirs est passé. Me voilà rendu à la tranquilité dont ma vieillesse et ma mauvaise santé ont besoin.

Il me tarde bien de vous embrasser. Vous saurez en attendant, que la cruelle avanture des Calas prend le train le plus favorable. J'ay fait faire à Paris un mémoire signé de quinze avocats. L'affaire est au conseil. J'espère que nous aprendrons aux juges à ne se plus jouer du sang innocent. Dieu merci nous n'avons point à Paris de pénitents blancs. Ce n'est pas une petite besogne de plaider contre un parlement. Cependant je l'ay entrepris, et j'ay été soutenu par l'amour de l'humanité. La superstition seule a fait rouer le malheureux Calas. Tantum relligio potuit suadere malorum. Cette superstition est une hidre toujours renaissante. On ne peut détruire touttes ses têtes, mais il est bon d'en couper quelque'une de temps en temps.

Je vais écrire pour vous faire avoir vos deux volumes de figures enciclopédiques. Savez vous que l'impératrice de Russie veut qu'on imprime l'enciclopédie chez elle à ses dépends?

Présentez je vous en supplie mes respects à mr et me de Fridenrik, et aimez moy toujours un peu.

V.