1737-02-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Les lauriers d'Apollon se fanaient sur la terre,
Les beaux arts languissaient ainsi que les vertus,
La fraude aux yeux menteurs, et l'aveugle Plutus,
Entre les mains des rois gouvernaient le tonnerre;
La nature indignée élève alors sa voix:
Je veux former, dit elle, un règne heureux et juste,
Je veux qu'un héros naisse, et qu'il joigne à la fois
Les talents de Virgile et les vertus d'Auguste,
Pour l'ornement du monde et l'exemple des rois,
Elle dit, et du ciel les vertus descendirent,
Tout le nord tressaillit, tout l'Olympe accourut,
L'olive, les lauriers, les myrtes reverdirent,
Et Frédéric parut.

Que votre modestie, monseigneur, pardonne ce petit enthousiasme à cette vénération pleine de tendresse que mon cœur sent pour vous.

J'ai reçu les lettres charmantes de v. a. r. et des vers tels qu'en faisait Catulle du temps de César. Vous voulez donc exceller en tout? J'ai appris que c'est donc Socrate et non Frédéric que v. a. r. m'a donné. Encore une fois, monseigneur, je déteste les persécuteurs de Socrate, sans me soucier infiniment de ce sage au nez épaté.

Socrate ne m'est rien, c'est Frédéric que j'aime.

Quelle différence entre un bavard athénien, avec son démon familier, et un prince qui fait les délices des hommes et qui en fera la félicité!

J'ai vu à Amsterdam des Berlinois: Fruere famâ tui, Germanice. Ils parlent de v. a. r. avec des transports d'admiration. Je m'informe de votre personne à tout le monde. Je dis: ubi est deus meus?Deus tuus, me répond on, a le plus beau régiment de l'Europe; deus tuus excelle dans les arts et dans les plaisirs; il est plus instruit qu'Alcibiade, joue de la flûte comme Télémaque, et est fort au dessus de ces deux grecs; et alors je dis comme le vieillard Siméon:

Quand mes yeux verront ils le sauveur de ma vie?

J'aurais déjà dû adresser à v. a. r. cette Philosophie promise et cette Pucelle non promise; mais premièrement croyez, monseigneur, que je n'ai pas eu un instant dont j'aie pu disposer. Secondement, cette Pucelle et cette Philosophie vont tout droit à la ciguë. Troisièmement, soyez persuadé que la curiosité que vous excitez dans l'Europe, comme prince et comme être pensant, a continuellement les yeux sur vous. On épie nos démarches et nos paroles; on mande tout, on sait tout.

Il y a par le monde des vers charmans qu'on attribue à Auguste-Virgile-Frédéric, quand Tournemine dit:

Il avouera, voyant cette figure immense,
Que la matière pense.

Ce n'est pas v. a. r. qui m'a envoyé cela, d'où le sais je? Croyez, monseigneur, que tout ministre étranger, quelqu'attaché qu'il vous soit et quelque aimable qu'il puisse être, sacrifiera tout au petit mérite de conter des nouvelles aux supérieurs qui l'emploient. Cela dit, j'enverrai à Vesel le paquet que j'ose adresser à v. a. r. Mais permettez encore que je vous répète, comme Lucrèce à Memmius:

Tantum relligio potuit suadere malorum.

Ce vers doit être la devise de l'ouvrage. Vous êtes le seul prince sur la terre à qui j'osasse l'envoyer. Regardez moi, monseigneur, comme le sujet le plus attaché que vous ayez, car je n'ai point et ne veux avoir d'autre maître. Après cela décidez.

Je pars incessamment de Hollande malgré moi; l'amitié me rappelle à Cirey: on est venu me relancer ici. Le plus grand prince de la terre est devenu mon confident. Si donc v. a. r. a quelques ordres à me donner, je la supplie de les adresser sous le couvert du m. du Breuil, à Amsterdam, il me les fera tenir. Ils arriveront tard; aussi dans mes complaintes de la providence, il y aura un grand article sur l'injustice extrême de n'avoir pas mis Cirey en Prusse. Je suis avec la vénération la plus tendre, permettez moi ce mot, monseigneur, &c.