10e Janv: 1766
Comment vous portez vous? mes divins anges.
Vôtre thermomêtre est-il a dix au dessous de la glace comme le nôtre? Je perds les yeux, les oreilles, la poitrine, les pieds, les mains et la tête.
Au nom de Dieu, quand le doux temps viendra, comme dit Pluche, venez avec lui pour être le médiateur de Genêve. Vous savez que cette fourmiliére importune le roi, et demande un ministre qui règle le pas des fourmis. Tout celà, en vérité, est le comble du ridicule. Il y a deux mois que ces pauvres gens pouvaient s'accorder très aisément deux ou trois sottises à la tête desquelles est l'orgueil, les a brouillés plus que jamais. Il serait difficile de dire bien précisément pourquoi; et je crois que les médiateurs seront bien étonnés qu'on les ait fait venir pour de semblables bagatelles. Mais enfin, venez, vous qui êtes le plus aimable et le plus conciliant de tous les hommes, comme le plus juste. Que cette avanture me produise le bonheur de ma vie; vous verrez Made vôtre tante en chemin, et cette visite ne sera peut être pas inutile.
Quand vous serez à Genêve, vous recevrez vos paquets de Parme plutôt qu'à Paris. Vous ferez aussi bien les affaires avec Mr le Duc De Praslin, par lettres que de bouche. Vous êtes, d'ailleurs, déjà au fait des tracasseries genevoises; enfin, je ne vois point d'homme plus propre que vous pour ce ministère. Je suis convaincu qu'il ne tient qu'à vous d'être nommé, et si vous ne l'êtes pas, je ne vous le pardonnerai jamais. Berne et Zurich enverront des magistrats, il faut que le France en fasse autant.
J'ajoute à toutes ces raisons un point bien important, c'est qu'on aura la comédie à Genêve pendant la médiation, pour préparer les esprits à la concorde et à la gaieté.
Enfin, voilà probablement la seule occasion que j'aurai d'embrasser mon ange avant ma mort.
Voicy une Lettre d'un mauvais plaisant de Neufchatel que je vous envoie pour vous tenir en joie.
On m'assure dans le moment que le Roy de Prusse est très malade, celà pourait bien être; il m'écrivit, il y a un mois que je l'enterrerais, tout cacochime et tout vieux que je suis, mais je n'en crois rien, ni lui non plus.
Je pense que l'affaire des dixmes est accrochée, comme on dit en stile de dépêches; il n'y a pas grand mal. Je suis rempli de la plus tendre et de la plus respectueuse reconnaissance pour toutes les bontés de M. le Duc de Praslin, et confus des peines qu'il a daigné prendre. Lors que j'ai vu que les Genevois n'étaient plus occupés sérieusement que de la prééminence de leurs rues hautes sur leurs rues basses, et qu'ils étaient résolus de fatiguer le ministère de France pour savoir si le conseil des vingt cinq a le pouvoir négatif ou non dans tous les cas, j'ai jugé à propos de faire avec mon curé ce que le conseil genevois aurait dû faire avec les citoiens; j'ai fait un très bon accommodement avec le curé, il m'a rendu maître de tout, et Dieu merci, je n'ai plus de procez qu'avec Fréron.