1766-04-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Jusques à quand abuserai-je des bontés de mes anges?
Voilà l'historien de François 1er qui de secrétaire d'un grand monarque veut se faire secrétaire des pairs, et je ne sais où il demeure, et je crains de faire encor une méprise. Je prends donc la liberté de leur adresser ma Lettre, et de les suplier de vouloir bien faire mettre L'adresse.

Mes anges connaissent plus de pairs que moi, je puis à peine le servir, ils pouront le protéger fortement en cas qu'il n'aient pas une autre personne à favoriser.

Je ne sais si je me trompe, mais je prévois que les citoiens de Genêve pouront perdre leur cause au tribunal de la médiation. Il est bien difficile, de quelque manière qu'on s'y prenne, qu'il ne reste beaucoup d'aigreur dans les esprits. Je suis donc toujours pour ce que j'en ai dit. Je voudrais que la médiation se réservât le droit de juger les différents qui pouront survenir entre les corps de la République. J'ai peur que les médiateurs ne veuillent pas se charger de ce fardeau, fardeau pourtant bien léger et bien honorable. Ce serait, ce me semble, une manière assez sûre d'attacher absolument les Genevois à la France sans leur ôter leur liberté et leur indépendance. Je sais bien qu'on n'a pas à faire des Genevois, mais les temps peuvent changer, on peut avoir des guerres vers l'Italie. Je serais fâché de penser autrement que Mr l'ambassadeur, et je croirais avoir tort, mais j'aime ma chimère, et je voudrais que Mr Le Duc De Praslin l'aimât un peu aussi.

Dites moi, je vous en prie, mes divins anges, comment réussit l'éloge de mr le Dauphin par Mr Thomas. Il me parait que tous les ouvrages qu'on a faits sur ce triste sujet, le sien est celui qui inspire le plus de regrets sur la perte de ce prince.

Me sera-t-il encor permis de recourir à vos bontés, nonseulement pour une Lettre de remerciements que je dois à Mr Thomas, mais pour un petit paquet que Mr D'Alembert attend? Figurez vous mon ambarras, je ne sais l'adresse d'aucun de ce messieurs, il faut pourtant leur écrire; pardonnez donc mon importunité. Je prendrai si bien doresnavant mes mesures que je ne tomberai plus dans le même inconvénient.

Le petit ex-Jésuite attend sa toile de Penelope, qu'il défait et qu'il refait toujours, mais songez que c'est pour vous plaire qu'il se plait si peu à lui même.

NB. Mr D'Alembert ne demeure plus rue Michel le Comte comme on l'avait mis sur la Lettre, c'est je crois près de Bellechasse. Encor une fois, pardon.