1766-04-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

J'attendais pour avoir l'honneur d'écrire à Vôtre Altesse Sérénissime, que je pusse lui envoier le recueil des bagatelles, dont quelques unes l'ont amusée; mais les petits troubles de Genêve n'ont pu encor me permettre de satisfaire vôtre curiosité.
On me fait espérer que j'aurai ce recueil dans quinze jours. Ces querelles de Genêve qu'on lui a peintes comme quelque chose de fort sérieux, ne sont au fond qu'une querelle de ménage; il n'y en a jamais eu de si paisible, et les médiateurs sont tout étonnés qu'on ait fait tant de bruit pour si peu de chose. Les esprits sont en mouvement, mais il n'y a pas eu la moindre violence. Un étranger qui passerait par cette ville ne pourait pas seulement deviner que les habitans ne sont pas d'accord. Ils disputent opiniâtrément sur leurs droits mais avec une bienséance, et une circonspection étonnante; et il n'y a point d'éxemple jusqu'icy d'une discorde si paisible. Il semble que les ambassadeurs ne soient venus que pour leur donner à dîner. Les choses ne se passaient point ainsi à Rome du temps de Marius et de Silla.

Il est vrai, Madame, que depuis environ douze ans les esprits fermentent un peu dans une partie de l'Europe, mais si on excepte les cours de justices appellées en France parlements, cette fermentation est prèsque toute philosophique.

On se moque également des Papes et de Luther; on secoue un respect servile pour des opinions ridicules; la raison gagne, et l'autorité sacerdotale pert beaucoup. Les princes ne peuvent que gagner à celà car il faut avouer pue leurs plus grands ennemis ont toujours été les prêtres. Je suis bien trompé, ou l'on ne se battra plus pour des billevesées théologiques. C'est le plus grand bien que la philosophie peut faire aux hommes.

Quant aux Lettres de la montagne, elles ont un peu éveillé les citoiens de Genêve, mais elles ne causeront point de guerre civile, les citoiens sont trop riches pour se battre.

Je me mets aux pieds de Vôtre Altesse Sérénissime avec le plus profond respect.

V.

J'apprends dans le moment que la reine de France est assez mal et qu'elle crache du pus.