1765-12-18, de — Duteil à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

C'est dans le sein du protecteur des Calas que j'ay formé le projet d'épancher mes douleurs et les larmes que versent mes concitoyens. La mort vient de nous ravir un prince qui nous étoit aussi cher par ses vertus que par son sang. Frappé d'un coup aussi terrible nous n'osons cepandant encore nous plaindre, d'un côté nous craignons d'augmenter le désespoir d'une famille dont nous payerions le Bonheur de notre sang, d'un autre presque hors d'état de recevoir de la consolation, nous sommes bien éloigné de penser à en donner. Des hommes tels que vous Monsieur peuvent prétendre à tout. C'est à juste titre que vous êtes appellé le génie de votre siècle et si vos contemporains ne vous font marcher qu'à côté des grands hommes, la beauté de vos travaux me fait tenir pour certain que nos neveux ne balanceront point pour vous placer à leur tête. Monseigneur le Dauphin est mort aujourd'huy sur les midy. J'ay cru que vous ne seriez peutêtre pas fâché d'apprendre cette nouvelle avant qu'elle fût publique; malheureux qu'elle soit de cette nature!

J'ay l'honneur d'être avec un très profond respect

Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur

Duteil
étudiant en droit,
rue du foin St Jacques, à l'hôtel du Pilier verd

J'attend de votre complaisance Monsieur la Permission de publier la réponse dont j'espère que vous voudrez bien m'honorer. Le Public sera charmé de sçavoir ce que vous pensez de cet événement.