ce 17 Novembre 1755
Monsieur,
Permettés moy de m'addresser à vous pour réclamer vos bontés et votre Protection au sujet d'une affaire arrivée hier chez moy, aussi inquiétante pour moy, qu'elle est surprenante.
J'ai été averti hier sur les trois heures après midy que le Commissaire Rochebrunne et l'Exempt Dhemery étoient venu à onze heures un quart du matin, chez moy; et qu'ils vouloient absolument me parler dans le jour. Ils sont revenus hier au soir et m'ont même attendu assés avant dans la nuit. Je puis vous protester que je n'ay rien imprimé ny vendü qui puisse fixer sur moy les regards de la Police en aucune façon. J'ay fait pendant tout le temps que le Commissaire et l'Exempt ont été chez moy, l'impossible pour sçavoir par le moyen de Personnes tierces, qu'elle raison pouvoit m'attirer deux Pareilles visites, le matin et la nuit. Enfin désespéré de ne pouvoir rien sçavoir et dans la plus cruelle incertitude j'ay suivi le conseil d'amis sages, en m'absentant de chez moy avec la ferme résolution de n'y rentrer que lorsque j'aurai pû sçavoir de quoy il est question. Vous sentés, Monsieur, dans quelle situation une Pareille démarche peut mettre un Cytoyen qui a une réputation faite à conserver, trente ouvriers et un commerce à conduire, qui indépendament de tout cela se trouve à la tête de sa famille dont il est obligé de faire les affaires, vû l'Etat d'un Père Paralytique retenû au lit par son âge et ses infirmités, et dont cette nouvelle, si malheureusement elle parvient jusqu'à luy, avancera infailliblement les jours. Voilà beaucoup trop de motifs pour faire agir cette bonté qui vous est si naturelle. Je vous conjure donc, Monsieur, de voir s'il est possible dans le jour Monsieur Berryer, en ma faveur, et de sçavoir de luy de quoy il est question et je ne balancerai pas à l'instant que j'en serai instruit à me soumettre à ses ordres et aux vôtres. Si je suis soupçonné d'avoir imprimé la moindre chose contre les Règles il est aisé de faire la visite la plus exacte dans mon imprimerie. Tout est ouvert et je ne crains aucune chose à cet égard, n'ayant point de reproches à me faire. Peut être ai-je tort de m'absenter mais la crainte ne consulte pas et absorbe la raison. Je ne puis me persuader que cecy soit une suite de l'affaire de 1741. Je n'ay point trahi la confiance dont vous m'avés honoré en cette occasion. Tous ceux qui me connoissent sçavent que j'en suis incapable, et je suis toujours prest de remettre au moindre ordre verbal tout ce que vous m'avés laissé à ce sujet. J'attends tout aujourd'huy de vos bontés, Monsieur, et je vous en aurai une reconnaissance qui ne finira qu'avec ma vie.
J'ay l'honneur d'être avec le plus profond respect,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Le Prieur imprimeur et Libraire ordinaire du Roy