1765-12-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Je ne saurais voir finir cette année sans souhaitter les plus nombreuses et les plus heureuses à Vôtre Altesse Sérénissime, à toute vôtre auguste famille, et à la grande maitresse des cœurs.
Il y a plus de douze ans que je vis dans ma retraitte, et il y a tout juste ce temps là que je regrette les plus agréables moments de ma vie. Ma vieillesse et mes maladies ne me permettent pas de me mettre aux pieds de V: A: S: aussi souvent que je le voudrais mais le cœur n'y perd rien, il est toujours plein de vos bontés; je m'informe à tous les Allemands, qui voiagent dans nos cantons, de vôtre santé, et de tout ce qui vous intéresse. J'ignore actuellement si vous n'avez point eu quelque ressentiment d'une incommodité passagère, dont vous me parliez dans la dernière Lettre dont vous m'avez honoré. Je pardonnerai tous mes maux à la nature si vôtre personne en est éxempte. Le Roi de Prusse a eu quelques atteintes assez violentes, mais il se conserve par un grand régime. Il me fait l'honneur de m'écrire quelque fois, mais je n'ai plus la santé et la force nécessaires pour soutenir un tel commerce, j'app[1]audis toujours au service qu'il a rendu au nord de L'Allemagne; sans lui vous auriez peut être des Jesuites et des capucins dans la Thuringe, ce qui est pire, à la longue, que des houzards. Je ne sais par quelle fatalité la partie méridionale de l'Allemagne est plongée dans la plus platte superstition tandis que le nord est rempli de philosophes. Genêve est bien changée depuis quelques années, Calvin ne reconnaîtrait pas sa ville.

Que Vôtre Altesse Sérénissime daigne toujours agréer avec bonté mon très tendre respect.

V.