1765-08-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Sébastien Dupont.

Mon cher ami j'ay langui longtemps, et je suis toujours étonné de vivre.
Quand mes forces sont un peu revenues Mademoiselle Clairon est arrivée; on a joué des tragédies sur mon petit théâtre de Ferney; mon hermitage a été tout bouleversé. Je n'ay point écrit. Je réponds enfin à une ancienne lettre de vous où vous me dites que vous mettez vos enfans dans l'église. Je vous souhaitte les biens de l'église à vous et à vos enfans; mais je suis fâché qu'au lieu d'en faire des prêtres vous n'en ayez pas fait des hommes. La fortune force toujours nos inclinations. J'ay toujours le châtau de Montbeliard pour point de vue et vous pouvez être bien sûr qu'une de mes plus grandes consolations sera de vous y voir.

L'impératrice de Russie a écrit une lettre charmante au neveu de l'abbé Bazin, et m'a chargé de la luy rendre. Elle a fait présent de quinze mille livres à Mr Diderot, et de cinq mille livres à madame Calas, le tout avec une politesse qui est au dessus de ses dons. Vous voyez bien qu'elle n'a pas fait tuer son mari, et que jamais nous autres philosophes nous ne soufrirons pas qu'on la calomnie.

Bonsoir mon cher ami, madame Denis vous fait mille compliments, frère Adam aussi.

V.