[27 September 1764] a
Je devais m'attendre que Voltaire refuserait de venir icy, je n'en suis pas moins affligé; c'est un regrêt que je porterai au tombeau, que cet homme aie vécu de mon temps et que je ne l'aie pas connu.
Je ne me consolerai jamais de tous les contre temps qui m'ont privé de cette satisfaction. J'ai beaucoup voiagé sans jamais le recontrer. Figurez vous que je suis parti de Berlin le jour qu'il y est arrivé l'année 1750. Vous savez que si le Roy n'était pas mort l'automne passé, je comptais pour sûr, aller voir l'Italie, la belle Italie, et Voltaire, je destinais dix huit mois uniquement à ces deux objets. Me voilà roi et il faut y renoncer; ce n'est pas les seuls biens que je perds. Je vous vois moins depuis trois semaines, et je trouve fort à plaindre celui à qui l'on ôte l'Italie, Voltaire et vous. Mais pour vous, je trouverai bien moien de vous ratrapper, malgré l'étiquête et sa gène; dès que je pourai donner et refuser le prestige de l'appareil me sera moins nécessaire. Heureusement il ne me faut plus que deux mois de grande contrainte.
Avez vous écrit à mr Bertrand qu'il amêne son neveu icy? quand il viendra lui même avec Vos enfans? Tel habil que soit mr Bertrand, mais a-t-il le talent de bien lire? Insistez là dessus, je vous prie; sans celà, mon objet n'est pas rempli, et vous savez combien celà m'est éssentiel.
Oh! si nous avions vingt ans de plus peut être vaudrions nous la peine que Voltaire vint nous voir, et encor vingt ans n'est pas assez. Il est dur de sentir que toute mon ambition, ou plutôt toute mon espérance doit se borner à ne produire par le travail le plus assidu, que la préparation d'un beau siècle. Il viendra quelqu'un après moi qui sera plus grand que moi, puisse-t-il convenir du moins que je lui ai ouvert les routes! et encor tout celà n'est qu'un peut être. Mais mon parti est pris. On renversera neuf fois mon meilleur projet que je le reprendrai toujours encore, mes amis m'aideront ou du moins me consoleront, et quoique roi j'ai pourtant des amis. Je sens que c'est à vous que j'écris.