[October/November 1766]
J'ai avec vous, Monsieur, la conformité d'un très grand mal aux yeux, mais les vôtres sont jeunes, et je perdrai bientôt les miens.
Ils lisent, en pleurant, cet amas d'horreurs, raportées dans le livre que vous m'envoyez; en vérité, celà rend honteux d'être catholique. Je voudrais que de tels livres fussent en France dans les mains de tout le monde; mais l'opéra comique l'emporte, et prèsque tout le monde ignore que les galères sont pleines de malheureux condamnés pour avoir chanté de mauvais pseaumes. Ne pourait-on point faire quelque livre qui pût se faire lire avec quelque plaisir, par les gens mêmes qui n'aiment point à lire, et qui portât les cœurs à la compassion?
Plus j'y pense, plus il me parait difficile d'avertir que les fruits d'un arbre sont mortels, sans faire sentir aux esprits éxercés que l'arbre est d'une bien mauvaise nature.
Me permettez vous, Monsieur, de garder quelques jours le compte de vos frères? Il me parait par leur nombre que vous n'auriez pas dû vous laisser pendre. Mais, entre nous, je crois ce nombre terriblement éxagéré. Je vais écrire dans une province dont je pourai recevoir des instructions, et ce qu'on m'apprendra de ce canton, me servira de règle pour les autres. Je voudrais bien que vôtre confrère de Seligny vous envoyât le petit chapitre en question. Je ne sçais s'il n'est point trop plaisant pour être mis dans un ouvrage sérieux, mais il me parait éssentiel de se faire lire de tout le monde si on peut. Ce n'est pas assez de prouver que l'intolérance est horrible, il faut montrer à des Français qu'elle est ridicule.
Je vous embrasse de tout mon cœur. Comme un véritable ami des hommes, vous êtes au dessus des cérémonies.