1764-07-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, si la Lettre du sr Panckoucke m'a fait rire, celle de frère Elie De Beaumont m'afflige.
Est-il possible qu'on perde un tel procez, et qu'on ne soit pas le fils de son père, parce que ce père a fait un voiage en Suisse? Qu'on dise à présent que les Français ne sont pas des Welches.

Voicy une petite Lettre par laquelle je réponds à Mlle Clairon; je vous prie de la lui envoier après l'avoir lue. Dites moi si je n'ai pas raison, et si l'affront qu'on fait au théâtre n'est pas horriblement Welche.

Frère Thiriot est donc devenu grand vicaire de Cambrai. Il a passé sa vie dans des attachements qui ne lui ont pas réussi. Il aurait été heureux s'il avait sçu qu'un ami vaut mieux que vingt protecteurs auxquels on se donne successivement.

J'attends toujours une occasion pour vous envoier un petit paquet pourvous et pour vos intimes. Dieu nous garde de jetter le pain de Dieu aux chiens. Je me flatte que ma Lettre à Mr Marin ne peut d'ailleurs que produire un bon éffet.

Je vous prie de me dire si c'est à Duclos que ce fou de Jean Jaques a écrit cette impertinente Lettre, dans laquelle il prétend que je le persécute. Moi persécuter l'auteur du vicaire savoyard! moi persécuter quelqu'un! J'ai toujours sur le cœur cette étrange calomnie.

Embrassez, je vous prie pour moi Mr et Made Elie. Leur imagination est comme le char de leur patron, elle est toute brillante; mais leur patron ne les valait pas. Je vous embrasse tendrement, mon cher frère.

Ecr: L'inf:

J'oubliais de vous dire que frère Gabriel n'a point imprimé assez d'éxemplaires du Corneille. Je l'ai laissé, comme de raison, le maître de toute l'affaire. S'il avait imprimé autant d'éxemplaires qu'il y avait de souscripteurs il aurait eu plus d'argent, et Mlle Corneille aussi. Mais aucun des souscripteurs qui n'avaient pas fait le 1er paiement n'ont eu le livre. J'en suis bien fâché, mais ce n'est pas ma faute. J'ai rempli mon devoir, et celà me suffit. Ceux qui n'ont pas eu d'éxemplaires et qui en demandent peuvent en prendre chez Me Corneille le père, à qui le Roi en a donné cent cinquante.
Made D'Argental se fait un plaisir d'en débiter pour gratifier cet honnête homme. Je m'étonne que celà ne soit pas public dans Paris; mais dans Paris on ne sait jamais rien, on n'est instruit de rien, on ne sçait à qui s'adresser, on ignore tout au milieu du tumulte. Frère Gabriel a bien mal fait d'imprimer les trois volumes de remarques à part sans me le dire. Il aurait dû imprimer deux fois plus de Corneilles commentés. Aureste, les fautes d'impression sont innombrables. Il y a assez loin de ma campagne à Genêve, et je n'ai jamais pu revoir la dernière épreuve. Tout va de travers dans ce monde. Dieu soit loué!