1764-07-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claire Josèphe Hippolyte Léris de Latude.

Quoique j'aie très peu vécu à Paris, mademoiselle, j'y ai vu retrancher au théâtre la 1e scène de Cinna.
Je vous félicite de l'avoir rétablie, et encore plus de n'avoir point dit ma chère âme. Je vous prie de vouloir bien lire les remarques sur l'épître dédicatoire qui est au devant de Théodore. Vous y verrez que je mérite aussi bien que m. Huern les censures de me Le Dain, mais vous y verrez en même temps que les papes et leurs confesseurs approuvent un art que vous avez rendu respectable par vos talents et par votre mérite. J'ai passé ma vie à combattre en faveur de votre cause, et je suis presque le seul qui ait eu ce courage. Si les acteurs qui ont du talent avaient assez de fermeté pour déclarer qu'ils cesseront de servir un public ingrat, tant qu'on cessera de leur rendre les droits qui leur appartiennent, on serait bien obligé alors de réparer une si cruelle injustice. Il y a longtemps que je l'ai proposé; mes conseils ont été aussi inutiles que mes services.

Je ne sais comment les imprimeurs allemands ont imprimé dans les Horaces, situation plus haute au lieu de situation plus touchante; mais ce sont des Allemands, et les Français ne seront que des Welches tant qu'ils s'obstineront à vouloir flétrir le seul art qui leur fasse honneur dans l'Europe. Médiocres et faibles imitateurs, presque dans tous les genres, ils n'excellent qu'au théâtre, et ils veulent le déshonorer.

J'ai un assez joli théâtre à Ferney, mais je vais le faire abattre si vous n'êtes pas assez philosophe pour y venir. Vous seule m'avez quelquefois fait regretter Paris. Comptez que personne ne vous honore autant que votre &c.