1764-06-08, de Jakob Heinrich Meister à [unknown].

…Ses petits vers, ses épîtres, tout cela est charmant, on pourrait brûler le reste.
Il a dit lui même à ses amis qui lui reprochaient les mensonges dont il a rempli ses histoires: 'Comment! moi, je n'écris pas pour être vrai, j'écris pour être lu'. Il jouit de la réputation la plus brillante, il a des biens en abondance, il a des amis, il a recueilli autour de lui tous les plaisirs et tous les divertissements imaginables, et c'est cependant le plus malheureux de tous les hommes. Le plus petit auteur est capable de troubler entièrement sa félicité; s'il parle de lui avec mépris, il en sera désolé; s'il a quelque succès, il en est désespéré; la crainte de la mort le martyrise. Je le crus toujours, les plaisirs ne sont rien lorsque le cœur nous manque, mais je le sens bien vivement lorsque je pense à Voltaire. Si sa gaité apparente est vraie, je ne sais plus ce que c'est que gaieté, j'aimerais beaucoup mieux ma tristesse. M. de Voltaire dit à tout le monde qu'il est fort lié avec J. J. Rousseau, qu'il lui offrit un asile chez lui lorsqu'il fut obligé de quitter la France; mais, moi, je vous dis que je n'ai aucune liaison avec m. de Voltaire et que je n'en veux point avoir. Je ne sais cependant comment on peut se détacher de son commerce. Ses billets sont si engageants, qu'on ne peut presque plus se passer du plaisir d'en recevoir lorsqu'on le goûta une fois.

C'est à son esprit intrigant que m. de Voltaire doit sa réputation aussi bien qu'à son génie. Lorsque Crébillon mourut, on vit une lettre des plus fortes contre lui. On l'y traitait comme le dernier des auteurs. Elle était de Voltaire. Il y répondit d'abord lui même, une lettre très bien écrite, mais beaucoup plus faible que la première qu'il publia sous son nom. Il y fait l'éloge de Crébillon, il fait semblant d'y vouloir excuser tous les défauts qu'il lui avait reprochés dans la précédente. L'effet de la première fut très puissant. Dans la seconde, on admira la générosité de m. de Voltaire. 'Que cela est beau,' dit on, 'de prendre ainsi le parti de son rival.' Il a fait un tour analogue à l'occasion de la Mérope de Maffei….