1769-09-30, de L. H. à Le Journal encyclopédique.

Messieurs,

Dans votre journal encyclopédique (dernière quinzaine d'août 1769) il a été dit en parlant de la tragédie des Guèbres ou la Tolérance que 'quoique dans la préface on assure qu'elle est d'un jeune auteur, il n'est pas possible de s'y méprendre, & que l'on y reconnaît aisément l'illustre écrivain à qui ce siècle doit toute sa gloire.'
L'abondance de vos occupations ne vous a sans doute pas donné le loisir, messieurs, d'examiner cette pièce avec toute l'attention & le scrupule que vous avez soin d'apporter aux ouvrages de ce genre. Le titre séduit, & en impose, & le mot de Tolérance que cette tragédie porte en tête, a tellement enchanté, qu'on s'est persuadé qu'elle ne pouvait devoir sa naissance qu'à l'apôtre de cette douce morale. La réputation de cet homme célèbre doit être chère aux amateurs des lettres, à vous surtout, messieurs, qui en êtes les ministres. A ces titres, je me flatte que vous ne trouverez pas mauvais que, par la voie de votre journal, je désabuse le public sur l'attribution de cette pièce, & que je l'assure qu'elle est vraiment d'un jeune auteur, qui mérite d'être encouragé. Sa morale, je le crois, sera avouée du philosophe de Ferney; mais le père de Mérope& de Zaïre, tout tolérant qu'il est, voudra-t-il adopter la tragédie des Guèbres? Tolle, lege, dirai je à tout connaisseur; mettez vous en garde, si vous le pouvez, contre l'enthousiasme qu'inspire la moins belle pièce dramatique de l'Apollon français; recueillez seulement une étincelle du feu qui l'enflamme, rapprochez les Guèbres de l' Orphelin de la Chine, de Tancrède& de César; y voyez vous l'empreinte? y reconnaissez vous la touche mâle & vigoureuse du favori de Melpomène? sont elles filles d'un même père? Non, dites vous; vous le direz aussi, messieurs, & pour lors, plus de doute sur la vérité que j'annonce.

J'ai l'honneur d'être, &c.

L . . . H . . ..