10 juillet [1765]
Je dépèche à mes anges le dernier mot du petit prêtre tragique.
Il vient de m'apporter ses rouez et les voilà. Vous ne sauriez croire à quel point ce petit provincial vous respecte et vous aime. Je sens bien, m'a t'il dit, que mon œuvre dramatique n'est pas digne de vos anges. Le sujet ne comporte pas ces grands mouvements de passions qui arrachent le cœur, ce patétique qui fait verser des larmes, mais on y trouvera un assez fidèle portrait des mœurs Romaines dans le temps du triumvirat. Je me flatte qu'on trouvera plus d'union dans le dessein, qu'il n'y en avait dans les premiers essais, que les fureurs de Fulvie sont plus fondées, ses projets plus dévoilez, le dialogue plus vif, plus raisonné et plus contrasté, les vers plus soignez et plus vigoureux. Le sujet est ingrat, et les connaisseurs véritables me sauront peutêtre quelque gré d'en avoir surmonté les difficultez.
Je vous avoue que j'ay à peu près les mêmes espérances que le petit novice exjesuite. Si vous trouvez la pièce passable pourait on la faire jouer à Fontainebleau? Les places sont prises. Ce serait peutêtre un assez bon expédient de faire présenter la pièce à M. le mal de Richelieu par quelqu'un d'inconnu que le Kain détacherait ou par quelque actrice que le Kain mettrait dans la confidence de l'ouvrage sans luy laisser soupçonner l'autheur. Cette démarche est délicate, mais je parle à des politiques, à des conjurez qui peuvent rectifier mes idées, et les faire réussir.
J'ai reçu de quelques amis d'assez amples paquets contresignez Courteil, qui n'ont point été ouverts et qui sont venus très librement à mon adresse. Vous avez fait enfin divins anges précisément ce que je demandais, vous m'avez instruit de ce que contenait la demi page. Permettez que je pousse la curiosité jusqu'à demander si le maître de la maison l'a vue, ou si elle n'a été que jusqu'à monsieur son secrétaire.
Je voudrais bien que M. le D. de P. protégeât fortement mr Dalembert. Il ferait une action digne de luy.
Respect et tendresse.
V.