1768-10-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Il faut amuser ses anges tant qu'on peut; c'est mon avis.
Sur ce principe j'ai l'honneur de leur envoyer ce petit chiffon qui m'est tonbé par hasard entre les mains.

Mais de quoi s'est avisé m. Jacob Tronchin, de dire à m. D'Amilaville que j'avais fait une tragédie? Certainement je ne lui en ai jamais fait la confidence, non plus qu'au duc et au marquis Cramer. Si vous voyez Jacob, je vous prie de laver la tête à Jacob. L'idée seule que je peux faire une tragédie suffirait pour tout gâter. Je vais de mon côté laver la tête à Jacob.

Mais pourquoi n'avez vous pas conservé une copie des Guèbres? Je suis si indulgent, si tolérant, que je crois que ces Guèbres pourraient étre joués; mais la volonté de dieu soit faite!

Je pense qu'il était nécessaire que j'écrivisse au président sur le beau portrait qu'on a fait de lui; on disait trop que j'étais le peintre.

On a imprimé cet ouvrage sous le nom d'un marquis de Belestat qui demeure dans ses terres en Languedoc. Mais enfin celui qui l'a fait imprimer m'a avoué qu'il était de la Beaumelle; je m'en étais bien douté. Le maraud a quelquefois le bec retors et la griffe tranchante, mais aussi on n'a jamais débité des mensonges avec une impudence si effrontée. Le président sera sans doute bien aise que ces traits soient partis d'un homme décrié.

Comment pourrai je vous envoyer le siècle de Louis 14 et le précis du suivant poussé jusqu'à l'expulsion des révérends pères jésuites? Mon culte de dulie ne finira qu'avec moi.

V.