1764-05-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Vos dernières lettres, mon cher frère, m'ont fait un plaisir bien sensible.
Tout ce que vous me dites m'a touché. J'ai écrit sur le champ à Mlle Catherine Vadé. Elle m'a envoyé le papier cy joint, et elle m'a dit que c'est tout ce qu'elle peut faire pour les Welches. Les véritables Welches, mon cher frère, sont les Omer, les Chaumeix, les Frérons, les persécuteurs et les calomniateurs. Les philosophes, la bonne compagnie, les artistes, les gens aimables, sont les Français, et c'est à eux à se moquer des Welches.

Il est fort plaisant qu'on dise que Jérome Carré a proposé la paix à maître Aliboron. En vérité, c'est comme si on prétendait que Moran en disséquant Cartouche lui fit proposer un accommodement.

Je me doutais bien que quelque libraire de Paris ferait bientôt une sottise à l'égard des commentaires sur Corneille, et qu'on imprimerait, à part ce qui ne doit l'être qu'avec le texte, et c'était pour prévenir cet abus Welche que j'avais imaginé de faire les propositions les plus honnêtes aux libraires qui ont le privilège; celà conciliait; et Pierre neveu de Pierre, aurait eu le temps de se défaire de sa cargaison par les mésures que je voulais prendre; mais tout se vend avec le temps, excepté la belle édition du galimatias de Crebillon faitte au Louvre. Frère Cramer m'a dit qu'il fesait tenir un éxemplaire cornellien à Mr Heron. Il doit l'avoir déjà reçu. Il ne sera pas mal pour l'édification des frères, et pour la confusion des méchants, que la Tolérance se débite sans éclat. Ne m'avez vous pas dit qu'on en avait fait une petite édition à Rouen? Celle de Cramer trouvera des débouchers ailleurs.

Je ne suis point fâché que Mlle Clairon n'ait pas repris Olimpie, il faut la laisser désirer un peu au public. Cette pièce forme un spectacle si singulier qu'on la reverra toujours avec plaisir, à peu près comme on va voir la rareté, la curiosité. Elle ne doit pas être prodiguée.

Est-il vrai que frère Helvétius est en Angleterre? On dit que la France a fait l'échange d'Helvétius contre Hume. Je viens de passer une journée entière avec le comte de Creutz, ambassadeur de Suede à Madrid. Plût à dieu qu'il le fût en France! C'est un des plus dignes frères que nous aions. Il m'a dit que le nouveau catéchisme imprimé à Stokolm commençait ainsi:

D. Pourquoi Dieu vous a t-il créé et mis au monde?
R. Pour le servir et pour être libre.
D. Qu'est-ce que la liberté?
R. C'est de n'obéïr qu'aux lois
etca.

Ce n'est pas là le catéchisme des Welches. Bon soir, j'ai trente Lettres à dicter; mon imagination se refroidit, mais mon cœur est toujours bien chaud pour vous.

Ecr: l'inf: