1764-09-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Florence Pétronille La Live, marquise d'Épinay.

Un de nos frères, Madame, que je soupçonne être le prophète Bohémien, m'a écrit une belle Lettre par laquelle il veut quelques éxemplaires d'un livre diabolique, auquel je serais bien fâché d'avoir la moindre part.
Ma conscience même serait allarmée de contribuer au débit de ces œuvres de Sathan. Mais comme il est très doux de se damner pour vous, Madame, et surtout avec vous, il n'y a rien que je ne fasse pour vôtre service. Je fais chercher quelques éxemplaires à Genêve, ces hérêtiques les ont tous fait enlever avec avidité. La ville de Calvin est devenue la ville des philosophes. Il ne s'est jamais fait une si grande révolution dans l'esprit humain qu'aujourd'hui. C'est une chose étonnante que prèsque tout le monde commence à croire qu'on peut être honnête homme sans être absurde. Celà me fait saigner le cœur.

Je vous prie, Madame, de me recommander aux prières des frères. Je prie Dieu continuellement pour eux comme pour vous, et pour la propagation du st Evangile. Vous savez qu'Esculape Tronchin va inoculer les Parmesans tandis que vos Welches condamnent l'inoculation. Il n'y [a], révérence parler, parmi les Welches que nos frères qui aient le sens comun. Vous, Madame, qui joignez à ce sens comun, les grâces et l'esprit, vous êtes française, et nullement Welche; et moi, Madame, je suis à vos pieds pour toute ma vie.