à St Petersbourg ce ⁹⁄₂₀ Decre 1760
Monsieur,
Deux lettres que je reçois de Vous, l'une du 25me Octbr: l'autre du 7e Nov: contiennent également des choses si flatteuses pour moi, qu'elles embarasseraient une plûme plus exercée que la mienne.
Dussiés Vous, Monsieur, Vous en fâcher, je dois vous avoüer que malgré la force de Votre éloquence et l'énergie de Vos expressions, Vous ne me persuadés jamais sur cet Article. Recevés à plus juste titre mes très humbles remercimens pour le Compliment que Vous faites à ma nation, sur le succès de ses armes, et la bonne discipline observée par nos trouppes à l'occasion de la Capitulation de Berlin; si elle a sujêt de s'applaudir de ses conquêtes, elle ne doit pas moins se glorifier, d'avoir prévenû en sa faveur, le plus grand historien de ce siécle.
Je n'ai point de nouvelles encore, de Mr Pouchkin; J'ai prié Mr le Cte Keyserlingh, de faire les plus exactes perquisitions sur la route de Vienne à Genêves. Les pacquêts dont il est chargé contiennent des anecdotes sur les négociations entre cette Cour et celle d'Espagne, un abrégé de l'histoire de Kamtschatka, les descriptions de Pétersbourg et de Moscou, avec quelques autres pièces et des Cartes Géographiques de ce païs.
Je ne suis nullement surpris Monsieur, du promt débit de l'histoire de Russie. On s'intéresse aux révolutions d'un païs qu'on veut connaitre, et l'élégance de Vôtre plûme entretient l'avidité des lecteurs. Je ferai tout mon possible pour Vous envoyer au plutôt quelque provision de matériaux, et les anecdotes sur la mort du Czarewitz.
Je n'ai pas reçu les Volumes que Vous m'avés dépéché par Mr le Cte Golofkin. Je compte du moins sur ceux dont Mr le Duc de Choiseuil s'est voulû charger. Quant à la caisse de Coladon, elle m'est parvenue, et je Vous l'ai marqué dans ma dernière. Pour l'eau des Barbades, je n'en ai rien vû, mais je ne Vous en remercie pas moins.
Je Vous ai mille obligations Monsieur, d'avoir voulû communiquer Vôtre Portrait à Mr Solticoff. Je me fais une fête de l'avoir bientôt à Pétersbourg, où il fera le principal ornement de ma maison. Je reviens à la charge au sujêt des vers sous le Portrait de Pierre le Grand. Continués moi les sentimens de Vôtre amitié, et soyés persuadé de ceux avec les quels je suis à jamais
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Schouvallow
Un mal des yeux me prive [de] l'honneur de vous écrire moi même.