Ferney, 4 avril [1764]
Je n'avais pas envie de rire, monsieur, quand vous m'envoyâtes votre petite drôlerie.
J'étais fort malade. Mon aumônier, qui est, ne vous déplaise, un jésuite, ne me quittait point. Il me faisait demander pardon à dieu d'avoir manqué de charité envers Fréron et le Franc de Pompignan, et d'avoir raillé l'abbé Trublet, qui est archidiacre. Il ne voulait pas permettre que je lusse votre Dunciade. Il disait que je retournerais infailliblement à mes premiers péchés, si je lisais des ouvrages satiriques. Je fus donc obligé de vous lire à la dérobée. J'ai le bonheur de ne connaître aucun des masques dont vous parlez dans votre poème. J'ai seulement été affligé de voir votre acharnement contre m. Diderot, qu'on dit être aussi rempli de mérite et de probité que de science, qui ne vous a jamais offensé, et que vous n'avez jamais vu. Je vous parle bien librement; mais je suis si vieux, qu'il faut me pardonner de dire tout ce que je pense. Je n'ai plus que ce plaisir là. Il est triste de voir les gens de lettres se traiter les uns les autres, comme les parlements en usent avec les évéques, les jansénistes avec les molinistes, et la moitié du monde avec l'autre. Ce monde-ci n'est qu'un orage continuel: sauve qui peut. Quand j'étais jeune, je croyais que les lettres rendaient les gens heureux: je suis bien détrompé. Il faut absolument que nous demandions tous deux pardon à dieu, et que nous fassions pénitence. Je consens même d'aller en purgatoire, à condition que Fréron sera damné.