au Plessis par Senlis ce 11 mars 1764

Votre Lettre et vos contes, mon cher Confrère, sont venus à propos pour dissiper la mélancolie d'un Rume meslé de goutte qui me retient depuis six semaines au coin du feu.
Les Lettres qui font Le plaisir Le plus vif des gens sains, sont la véritable consolation des malades. Vos trois manières sont toutes fort bonnes. Je voudrois seulement que la triste Apamis s'appellât La tendre Apamis. La tristesse emporte toujours l'idée de L'ennuy. Je voudrois aussi que Le Corsaire de Theoneévitât cette expression de corsaire, toutes deux je contenterai; il voulut agir tout de bon est encore une façon de s'exprimer bonne à éviter. La délicatesse de notre Langue se révolte encore plus Contre Les mots que Contre les idées. A cela près, Ces trois Contes sont comme vous dites assés propres, et pleins de ces vers heureux qui ont Le sens juste des proverbes et qui se gravent aisément et profondément dans La mémoire. Divertissés vous à ce genre, dans lequel, Lafontaine peut estre surpassé. Mais, de grâce, n'ayés pas la paresse de foüiller dans vos poches; vous les trouverés pleines des plus belles gazes du monde; il seroit domage que vous négligeassiés de vous en servir. Nostre secrétaire est toujours de mes amis. Je devois aller demain passer quelques jours à Paris. La goutte et Le rume ont tout dérangé. Je lirai Le petit Livre de la tolérance. Il est aisé aux particuliers d'en suivre Les maximes; C'est le chef d'œuvre de la sagesse d'un gouvernement de les faire pratiquer sans exciter de fermentation et sans blesser, ou paroitre blesser, les principes. J'ay relu votre histoire universelle jusqu'à nos jours. Il s'en faut de peu (et il ne tiendra qu'à vous) que ce ne soit le tableau Le plus vray, comme il est Le plus philosophique, le plus agréable et Le plus varié. Nous nous verrons quelques jours; Cela sera fort doux pour moy et ne vous sera peutêtre pas inutile.

Mon cœur est vivement affligé. Madame de Pompadour, mon amie depuis 23 ans, à qui j'ay de très grandes obligations, est attaquée à Choisi depuis douse jours d'une maladie dangereuse. Le Roy y perdroit une amie sincère et Les Lettres une protection sûre et éclairée. Que La vie a peu d'instants heureux! Les Lettres! Les Lettres! Les arts! il n'y a que cela qui console dans L'affliction et qui jette un voile heureux sur toutes nos misères. Adieu, mon cher Confrère, conservés votre santé; elle est utile à la miene. Je vous regarde comme Le meilleur médecin de l'Europe.