1764-02-04, de Louis Eugene von Württemberg, duke of Württemberg à Voltaire [François Marie Arouet].

Je sais bien bon gré, Monsieur, à cette belle Princesse de me rappeler dans l'honneur de votre souvenir.
C'est une marque bien prétieuse qu'elle me donne de son amitié et je saisis cette occasion avec tout l'empressement possible pour vous en remercier tous deux. Je Vous supplie Monsieur de me faire le plaisir d'addresser L'incluse à Mr D'Ahdemar et de l'assurer de toute l'étenduë de ma Recconnaissance.

Si le titre de Philosophe est le partage de ceux qui sont véritablement heureux, je conviens, Monsieur, que j'y ai quelque droit. Je coule ma tranquile vie entre une épouse et un enfant que j'aime de tout mon coeur. Mes occupations domestiques sont à la fois mes devoirs et mes plaisirs, et je borne tous mes désirs à les remplir avec tendresse et avec exactitude.

Ce sont ces mêmes devoirs, qui me privent du bonheur d'aller vous voir à Ferney. Ma femme, qui me charge de vous présenter ses hommages, est déjà assés avancée dans sa nouvelle grossesse et je n'ai garde de l'abandonner dans une situation, que mon absence lui rendrait encore plus pennible, et il me semble que ceci suffit pour Vous prouver combien je l'aime.

J'ignore parfaitement quelles seront les fêtes de Stutgardt et de Louisbourg, mais ce que je sais c'est, que tous les jours, que dis-je? tous les instants sont des fêtes pour moi, car il ne me faut qu'une caresse de ma femme et un sourire de mon Enfant pour les rendre tels. Après celà Vous sentés bien, Monsieur, que je ne désire pas changer de manière d'être; mais si, toutefois, la fortune avait résolu de me faire passer dans une autre situation, encore ne désespéreraisje pas d'y vivre heureux et voici comme je ferais: je vivrais avec beaucoup de simplicité; je m'environnerais autant qu'il me serait possible d'honnêtes gens; je n'aurais pour but de ma conduite que le bonheur de ceux qui me seraient confiés, et je n'écouterais, pour le remplir que la voix de ma conscience, et ce motif si louable et si consolant par lui même. Voilà mon secret et je suis bien persuadé que vous daignerés l'approuver. Je ne Vous en dirai pas davantage, car que pourrais-je vous dire après cela? Mais ce qui est bien sûr, c'est que l'avenir n'altérera jamais ma façon de penser à votre égard, et que je me ferai toujours un plaisir de vous convaincre des sentimens d'attachement que je vous ai voués et avec les quels j'ai l'honneur d'être Monsieur Votre très humble et très obéissant serviteur

Louis Eugene Duc de Wirtemberg