1754-09-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Je ne guéris point madame, mais je m'acoutume à Colmar plus que la grand'chambre à Soissons.
Les bontez de Monsieur votre frère contribuent baucoup à me rendre ce séjour moins désagréable; j'y serais heureux sans l'île Jar; mais cette île Jar me suit partout. Vous avez icy deux neveux aussi à plaindre qu'ils sont aimables. L'un plaide, l'autre est paralitique, je ne vois de tous côtez que désastres. On mande que la langueur, la misère et la consternation sont dans Paris. Il y a toujours quelques belles dames qui vont parer les loges, et des petits maîtres qui font des pirouetes sur le téâtre, mais le reste souffre et murmure. Il y a un an que j'ay de l'argent aux consignations du parlement. Le receveur en jouit. Combien de familles sont dans le même cas, et dans une situation bien plus triste! On exige dans votre province de nouvelles déclarations qui désolent les citoyens, on fouille dans les secrets des familles, on donne un effet rétroactif à cette nouvelle manière de lever le vingtième, et on fait payer pour les années précédentes. Voylà bien le cas de prier et de jeûner, et d'avoir des lettres consolantes de Mr de Baufremont. Il n'est pas plus question de la préture de Strasbourg que des préteurs de l'ancienne Rome. Vivez tranquile madame avec votre respectable amie à qui je présente mes respects. Faites bon feu. Continuez votre régime. Cette sorte de vie n'est pas bien animée, mais cela vaut toujours mieux que rien.

Si vous avez quelque nouvelle daignez en faire part à un pauvre malade enterré à Colmar? Permettez moy de présenter mes respects à mr votre fils et de vous souhaitter comme à luy des années heureuses, s'il y en a.