1764-01-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Germain Gilles Richard de Ruffey.

Je vous jure, mon cher Président, que je n'ai envoié aucun conte à Dijon, excepté un compte à mon procureur, de tout ce que me demande mon Curé; et ce compte est une chose tout à fait différente du Conte de ce qui plait aux Dames.
Je ne sçais comment ce petit amusement a percé dans le monde; tout ce que je sçais, c'est que c'est un conte de ma mère L'oye, un Conte de fées.

J'ai ouï dire que ces créatures qui dansaient sur l'herbe, en ne la touchant pas, étaient des fées, et l'académie de Dijon sçait sans doute que ces demoiselles dansaient en rond, et qu'elles disparaissaient dès qu'on les regardait. Je ne connais point l'auteur de ce conte, mais je me doute bien qu'il n'acceptera pas les trois vers qu'on lui propose. Si ce petit ouvrage m'était tombé entre les mains, et si je l'avais envoié à quelqu'un à Dijon, C'aurait été sûrement à vous.

Il y a un ouvrage plus intéressant, qui commence à percer un peu dans le monde; c'est un éssai sur la Tolérance; il y en a très peu d'éxemplaires. Si je puis en trouver un, je ne manquerai pas de vous le faire tenir. L'auteur est, à ce que je crois, un protestant assez instruit, qui demande que ses frères puissent cultiver la terre en France, au lieu d'enrichir les païs étrangers. On en a envoié un à mr De Quintin, vôtre ami; priez le de vous le prêter, et demandez lui, je vous prie, ce qu'il en pense. Je m'intéresse à Cet ouvrage, parce que l'auteur me semble n'avoir en vue que le bonheur du genre humain, chose à laquelle ne pensent guère ceux qui sont à la tête de quelque parti que ce puisse être de ce pauvre genre.

Je croiais mr l'ancien premier président de Lamarche à Paris, je le félicite d'être à la Marche, et je vais incessamment lui écrire.

Dites moi, je vous prie, quel besoin une académie a d'un protecteur, et à quoi un protecteur lui est bon? Le protecteur de l'académie française lui donne soixante et dix Ecus par séance, quarante fauteuils de velours, un Suisse, du bois, des bougies, le droit de Comittimus, c'est du moins quelque chose.

Portez vous bien, mon très cher président. Je perds la vue, et je perdrai bientôt la vie. Il n'y a pas grand mal à celà. Je vous embrasse de tout mon mon Cœur.

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