1764-01-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Mon cher confrère, il y a un endroiît de vôtre beau discours qui m'a bien fait rougir, tout le reste m'a paru très digne de vous, et la fin m'a attendri.
Vous donnez un bel éxemple aux gens de Lettres en rendant les Lettres respectables. Je ne désespère point de voir tous les vrais philosophes unis pour se deffendre mutuellement, pour combattre le fanatisme, et pour rendre les persécuteurs éxécrables au genre humain. Apprenez leur, mon cher ami, à bien sentir leurs forces. Ils peuvent aisément diriger à la longue tous ceux qui sont nés avec un esprit juste. Ils répandront insensiblement la lumière, et le siècle sera bientôt étonné de se voir éclairé.

Quoi! des fanatiques auraient été unis, et des philosophes ne le seraient pas! Vôtre discours aussi sage que nôble, et qui fait entendre plus que vous n'en dites, me persuade que les principaux gens de Lettres de Paris se regardent comme des frères. La raison est leur héritage, ils combattront sagement pour leur bien de famille. J'en connais qui ont un très grand zèle, et qui déjà ont fait beaucoup de bien sans éclat.

Vous ne me dites rien sur Mr le Duc de Praslin et sur Mr D'Argental. Croiez moi, faittes moi l'amitié de m'écrire quelques mots que je puisse leur envoier; qu'ils puissent connaître vos sentiments qui ne se sont jamais démentis.

Si j'avais l'honneur d'être le moins du monde en relation avec mr le prince Louïs de Rohan, je prendrais la liberté de lui écrire pour le remercier des obligations que vous lui avez, c'est à dire que je lui ai. Je vous suplie de lui présenter ma respectueuse reconnaissance.

Que tout cecy soit entre nous, les profanes ne sont pas faits pour les secrets des adeptes.

V.