1763-10-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence.

Le second livre des Macabées, livre écrit très tard, et que st Jerome ne regarde point comme canonique, n'a rien de commun avec la loi des Juifs.
Cette loi consiste dans le Décalogue, dans le Levitique, dans le Deuteronome, et elle passe chez les juifs pour avoir été écrite quinze cent ans avant le livre des Macabées.

Vouloir conclure qu'une opinion qui se trouve dans les Macabées, était l'opinion des Juifs du temps de Moyse, serait une chose aussi absurde que de conclure qu'un usage de nôtre temps était établi du temps de Clovis.

Il est indubitable que la loi attribuée à Moyse, ne parle en aucun endroit de l'imortalité de l'âme, ni des peines et des récompenses après la mort. La secte des pharisiens n'embrassa cette doctrine que quelques années avant Jesus Christ. Elle ne fut connue des Juifs que longtemps après Aléxandre, lorsqu'ils apprirent quelque chose de la philosophie des Grecs dans Aléxandrie.

Aureste, il est clair que les livres des Macabées ne sont que des romans. L'histoire y est falsifiée à chaque page. On y raporte un traité prétendu fait entre les Romains et les Juifs, et voicy comme on fait parler le sénat de Rome dans ce traité:

Bénis soient les Romains et la nation juive, sur terre et sur mer à jamais, que le glaive et l'ennemi s'écartent loin d'eux.

C'est le comble de la grossièreté, et de la sotise de l'écrivain, d'attribuer ainsi au sénat de Rome le stile de la nation juive.

Il y a quelque chose de plus ridicule encor, c'est de prétendre que les Lacédémoniens et les Juifs venaient d'une même origine.

Les livres des Macabées sont remplis de ces inepties. On y reconnait à chaque page la main d'un misérable juif d'Aléxandrie, qui veut quelquefois imiter le stile grec, et qui cherche toujours à faire valoir sa petite nation.

Il est vrai que dans la relation du prétendu martire des Macabées, on représente la mère comme pénétrée de l'espérance d'une vie à venir. C'était la créance de tous les payens, excepté des Epicuriens.

C'est insulter à la raison, de se servir de ce passage, pour faire acroire aux esprits faibles et ignorants, que l'immortalité de l'âme était énoncée dans les loix Judaïques. Mr Warburton, Evêque de Vorchester, a démontré dans un très sçavant livre, que les récompenses et les peines après la vie, furent un dogme inconnu aux Juifs pendant plusieurs siècles. De là, on conclut évidemment, que si Moyse fut instruit de cette opinion, si utile à la canaille, il fut bien malavisé de n'en pas faire la base de ses loix; et que s'il n'en fut pas instruit, c'était un ignorant indigne d'être législateur.

Pour peu qu'un homme ait de sens, il doit se rendre à la force de cet argument.

S'il veut d'ailleurs lire avec attention l'histoire des Juifs, il verra sans peine, que c'est de tous les peuples le plus grossier, le plus féroce, le plus fanatique, et le plus absurde.

Il y a plus d'absurdité encor à imaginer qu'une secte née dans le sein de ce fanatisme Juif est la loi de Dieu et la vérité même. C'est outrager Dieu, si les hommes peuvent l'outrager.

J'espère que mon cher frère fera entendre raison à la personne qu'on a perverti.

J'oubliais l'article de la pithonisse. Cette histoire n'a rien de commun avec la créance des peines et des récompenses après la mort. Elle est d'ailleurs postérieure à Moyse de plus de six cent ans. Elle est empruntée des peuples voisins des Juifs qui croiaient à la magie, et qui se vantaient de faire paraître des ombres, sans attacher à ce mot d'ombre, un idée précise. On regardait les mânes comme des figures légères, ressemblantes aux corps.

Enfin, la Pythonisse était une étrangère, une misérable devineresse. Mais si elle croiait à l'immortalité de l'âme, elle en sçavait plus que tous les Juifs de ce temps là, etca.

Je me flatte que mon cher frère sçaura bien faire valoir toutes ces raisons. Je l'exhorte à détruire autant qu'il poura, la superstition la plus infâme qui ait jamais abruti les hommes, et désolé la terre.

J'embrasse tendrement mon cher frère, je m'intéresse à tous ses plaisirs, mais le plus grand de tous, et en même temps le plus grand service est d'éclairer les hommes; mon cher frère en est plus capable que personne. Je lui serai bien tendrement attaché toute ma vie.

V.