1763-06-20, de François Lacombe à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Les Lettres sécrètes de Christine, sont de ma façon, ainsi que les notes.
Je vous l'avoüe sans rougir. Les Lettres choisies, publiées en 1759, sont presque toutes tirées des Mémoires in 4. que vous connoissés. Divers manuscrits du Roi et tous les mémoires du tems m'ont fourni à peu de chose près les anecdotes que j'y ai répandu pour m'assurer quelques lecteurs. D'après ces recherches j'ai fait parler la fille de Gustave, en femme inquiète, remuante, bizarre, entousiaste du bel esprit, toujours folle, libertine et quelquefois méchante, Enfin je lui ai donné tous les travers d'une femme de son siècle et de son âge, avec les vertus d'un héros de tous les siècles, c'est à dire l'humanité, la générosité, l'amour de la gloire et des Lettres.

Les succès des premiers volumes, dans lesquels il y a quelques lettres purement de moi, entre autres, la réponse de cette Princesse à Pascal, à l'honneur du filosofe et de la filosofie si persécutée de nos jours, par de petits tirans, par de sots robins jans énistes et par des prélats ignars et hipocrites; ce succès dis-je, m'a fait croire que puisque les subtils folliculaires m'avoient loué en Chorus, croyant louer Christine, je pouvois lâcher promptement mes Lettres secrètes.

Vous me pardonnerés bien, Monsieur, cette inocente supercherie, en faveur des vérités que j'ai dites hautement aux méchans et aux bourreaux des talens et surtout des gens de Lettres. Vos ouvrages, Monsieur, ont rendu le public si dificile qu'un jeune homme avec de petits talens comme moi, ignoré, pauvre, sans prôneuse, sans patron, sans intrigue, timide et fier, paresseux et Avénionois n'auroit pas trouvé un seul acheteur et j'avois eu la témérité grande de faire imprimer à mes frais ce volume avec ma traduction que je vous suplie d'agréer. Pour bien entendre Shaftesbury il falloit nécessairement aller à Londres. Je ne sais si les 4 années que j'y ai passé m'auront mis en état de le faire lire en françois.

M. le Prince de Galléans vient de m'offrir plusieurs Lettres écrites de la main de Christine, à son grand oncle Charles Felix de Galléans, Duc de Gadagne, Lieutenant général des armées de France et généralissime des Vénitiens. Voilà un beau présent qui fait beaucoup d'honneur à ce jeune seigneur de ma Province. Je les publierai en forme de suplément.

Je suis avec respect et admiration

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Lacombe

Avec un exemplaire de Shaftesbury contresigné Rue des fossés M. le Prince à L'hôtel Dunoi