1774-08-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Joseph, prince de Ligne.

Vous feriez rire un mort, Monsieur le Prince, avec vos prélats et vos lavements.
Moi qui suis plus près des lavements que des sacrements j'ai été enchanté d'être encor dans votre souvenir. Je m'imagine bien que tout ce que vous avez vu vous a amusé sans vous étonner. C'est un Drame d'une nouvelle espèce, et vous êtes bon juge. J'ai renoncé à tous les spectacles; mais je suis charmé quand un connaisseur comme vous daigne m'en parler.

Tout enterré que je suis dans ma solitude, j'ai entendu parler il y a quelques mois d'une belle fête que vous aviez donnée. Je me doute bien qu'il y avait autant de goût que de magnificence. Mes jours de fête seraient ceux où je serais à portée de vous faire ma cour. Mais ma destinée m'a tapi trop loin de vous.

J'ai eu la consolation de dire fort au long à Mr Constant combien je vous suis attaché. J'ai joint mes vœux aux siens pour que votre manière de penser s'établisse à Bruxelle. J'en dirai autant à mr d'Hermenche, quand je le reverrai. Il est un peu mécontent, il boude; mais j'espère qu'il prendra le parti de nous demeurer. Il ne trouvera guères de païs où l'on sente mieux son mérite.

Agréez, Monsieur le Prince, mes éternels regrets d'être si éloigné de vous, et mon profond respect.