à Ferney 9e auguste 1769
Monseigneur,
Je n'ai d'autre droit à vos bontés que mon ancien attachement et le malheur que j'éprouve depuis vingt ans d'être dans l'impuissance de vous faire ma cour, quand je songe que mon premier protecteur fut votre bisayeul, et que vous m'avez honoré de la même bienveillance.
L'idée de paraître encor une fois devant vous avant de mourir semble consoler ma vieillesse, et j'aurais cette espérance si vous m'accordiez la grâce que j'ose vous demander.
Vous allez donner des fêtes à Madame la Dauphine. Vous savez que l'impératrice sa mère, qui est elle-même une très bonne musicienne, l'a élevée dans le goût de la musique italienne. Mr de La Borde a fait un opéra qui tient encor plus du génie italien que du français. J'en ai entendu une grande partie dans ma retraite, et si je ne me trompe, vous ne vous repentiriez pas de l'avoir fait exécuter. Il est vrai que malheureusement les paroles sont de moi, mais la faiblesse du poëme est bien relevée par l'agrément de la musique. Des connaisseurs qui n'ont aucune partialité, croient que ce spectacle ferait un très bel effet.
Vous emploieriez deux hommes qui sont d'ailleurs en quelque façon sous vos ordres, Mr de La Borde étant premier valet de chambre du Roi, et Sa Majesté m'aiant conservé la charge de Gentilhomme ordinaire.
Je sais bein, Monseigneur, qu'il ne suffit pas de vous être attaché pour prétendre à votre suffrage, et qu'il faut le mériter. Je ne vous réponds que de Mr de La Borde. J'avoue encor qu'en fait de musique et de fêtes le goût est un peu arbitraire, et qu'on est beaucoup plus sûr d'avoir des critiques que des succès; je conçois que vous pourriez craindre de vous compromettre.
Oserais-je en cas vous proposer qu'une Dame dont on m'a parlé se chargeât de favoriser auprès de vous Mr de La Borde et moi et de prendre sur elle le blâme, s'il y en a, blâme qui ne pourra retomber que sur moi? Et si la chose réussissait, je serais à portée alors d'avoir la consolation et l'honneur de venir vous faire mes remerciemens et de recevoir quelques amis que vous aimez. Ce serait à vous seul que je devrais cette consolation. Si ma demande est indiscrète, daignez, Monseigneur, la pardonner en faveur de mon zèle.
Daignez surtout agréer le profond respect
Votre très humble et très obéissant serviteur.