1763-05-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je vous ai écrit plusieurs fois mon cher frère et je ne vous ay envoyé d'autre paquet que celuy qui était pour mr le comte de Bruc chez mr le marquis de Rosmadec à l'hôtel Rosmadec rue de Bievre fauxb. st Germain.
Je vois que vous ne l'avez pas reçu. Je vous ai prié de parler à Mr Jeannel, d'offrir le payement du paquet et de redemander la lettre à vous adressée qui était sous votre envelope. Je vous ay accusé la réception des livres que vous avez eu la bonté de me faire parvenir. Je vous ai demandé s'il était vrai que Mr Dalembert vous eût fait toucher 600lt.

Je vous ay surtout écrit au sujet de l'histoire générale et je vous ay prié en dernier lieu d'empêcher l'ami Merlin de rien débiter avant que j'eusse reçu les mémoires que M. Le président de Méniere et mr l'abbé de Chauvelin ont la bonté de me fournir, et sur les quels je compte rectifier les derniers chapitres.

Je vous ay encor prié de faire savoir à Protagoras qu'un Anglais était chargé d'une lettre pour luy. Voylà à peu près la substance de tout ce que j'ay mandé à mon frère depuis un mois. J'y ajoutais peut-être que l'infâme était traitée dans nos cantons comme elle le mérite, et que le nombre des fidèles se multipliait chaque jour ce qui est une grande consolation pour les bonnes âmes.

Il est bien douloureux que la poste soit infidèle, et que le commerce de l'amitié, la consolation de l'absense soient empoisonez par un brigandage digne des houzards. C'est répandre trop d'amertume sur la vie. Je me sers cette fois cy de la voye de M. Dargental sous l'enveloppe de monsieur de Courteilles.

Il faut encor que je vous dise que je vous ai demandé des nouvelles de l'arrangement des finances. On nous a mandé que le parlement s'opposait aux vues de la cour et que le roy pourait bien tenir un lit de justice. Voylà ma confession faitte.

Je suis toujours dans une grande inquiétude sur le paquet de M. Debruc. Nous vivons dans un bois rempli de voleurs.

Faut-il donc en France être oppresseur ou opprimé, et n'y a t'il pas un état mitoyen?

Je vous embrasse mon frère vous et les frères.

Ecrazez l'infâme.