1763-05-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Carlo Goldoni.

Je n'ai reçu que depuis peu de jours, Monsieur, vos bienfaits.
La personne qui m'avait dit tant de bien de la pièce dont vous avez gratifié Paris, ne m'avait pas trompé. Je ne me plains que de la peine que m'ont fait mes pauvres yeux en la lisant; mais le plaisir de l'esprit m'a bien consolé des tourments de mes yeux. Je viens de relire L'avanturiere onorato, il Cavaliere di buon gusto, et la Locandiera; tout celà est d'un goût entièrement nouveau, et c'est à mon sens un très grand mérite dans ce siècle cy. Je suis toujours enchanté du naturel et de la facilité de vôtre stile. Que j'aime ce bon et honnête avanturier, que je voudrais vivre avec lui! Il n'y a personne qui ne voulût ressembler au cavalier di buon gusto, et je suis toujours prêt de demander au marquis de Forlipopoli sa protection. En vérité vous êtes un homme charmant.

Quand j'aurai L'honneur de vous faire parvenir mes rêveries, qui ne sont pas encor tout à fait prêtes, je ferai avec vous le marché des Espagnols avec les Indiens, ils donnaient des petits couteaux et des épingles pour de bon or.

Je reçois quelquefois des Lettres de Lelius Albergati, l'ami intime de Terence; heureux ceux qui peuvent se trouver à table entre Terence et Lelius!

Bonsoir, Monsieur, je vous aime et vous estime trop pour faire icy les plats compliments de la fin des Lettres.

V.