1763-02-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, si vous n'avez pas des éclaircissements historiques, en voici.
Il est assez plaisant qu'on puisse imprimer la calomnie, et qu'on ne puisse pas imprimer la justification. Je joins à ces deux exemplaires la véritable feuille de l' essai sur les mœurs de laquelle assurément messieurs doivent être contents, à moins qu'ils ne soient extrêmement difficiles. Comme il n'y a rien dans cette feuille qui ne se trouve dans le procès de Damiens que le parlement lui même a fait imprimer, je ne vois pas que messieurs aient le moindre prétexte de me traiter comme les jésuites. D'ailleurs j'aime la vérité, et je ne crains point messieurs. Je suis à l'abri de leur greffier. Au reste, il me semble qu'il y a, à la page 325, une chose bien flatteuse pour un de messieurs.

Quant à la roture de messieurs, il faudrait être aussi ignorant qu'un jeune conseiller au parlement pour ne pas savoir que jamais les simples conseillers ne furent nobles. Voyez le chapitre de la noblesse, c'est bien pis. Les chanceliers n'étaient pas nobles par leur charge; ils avaient besoin de lettres d'anoblissement. Quand on écrit l'histoire, il faut dire la vérité, et ne point craindre ceux qui se croient intéressés à l'opprimer.

Le Traité sur l'éducation me paraît un très bon ouvrage, et pour tout dire, digne de l'honneur que frère Platon-Diderot lui a fait d'en être l'éditeur.

Si frère Thiriot ne sait pas l'air de Bechamel, je vais vous l'envoyer noté, car il faut avoir le plaisir de chanter: Vive le roi et Simon Lefranc!

Avez vous entendu parler de la pièce dont mr Goldoni a régalé le théâtre italien? a-t-elle du succès? joue-t-on encore le vieux Dupuits et monsieurDes Ronais? J'avais prié mon cher frère de m'envoyer ce Dupuits; j'attendais le discours de mon confrère l'évêque de Montrouge, il m'avait écrit qu'il me l'envoyait, mais point de nouvelles. Monsieur l'évêque est occupé auprès de quelques filles de l'opéra comique. Mais c'est à frère Thiriot que j'en veux: il est bien cruel qu'il n'ait pas encore cherché les dialogues de Grégoire le grand. Je les avais autrefois. C'est un livre admirable en son espèce: la bêtise ne peut aller plus loin.

J'embrasse tendrement mon cher frère, et je le prie de faire passer cette lettre à Pindare-Le Brun dont je suis sensé ignorer les sottises.

Je reçois tout le monde a tort. Ce tout le monde a tort ne serait il point de mde Belot? Il me paraît qu'une ironie de 60 pages en faveur des jésuites pourrait être dégoûtante.