1763-02-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Claude Moultou.

Le sacrement de mariage dont je suis occupé, Monsieur, a un peu nui à la sacrée tolérance dont je voudrais m'occuper souvent avec vous.

J'ai L'honneur de vous renvoyer les livres que vous avez bien voulu me prêter, je voudrais bien que le petit livret que je prépare, n'eût pas leur sort. Sûrement, ces livres là quelques bons qu'ils puissent être, n'ont pas été lus à Versailles; et la première loi dans une affaire comme celle cy, est de se faire lire par ses juges. Ce n'est pas encor assez, il faut avoir des gens qui parlent, et j'espère que nous en aurons. Vous endoctrinerez made la Duchesse D'Anville mieux que moi. Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien lui présenter mes profonds respects quand vous lui écrirez.

J'ai changé tout l'ouvrage, et je l'ai un peu augmenté pour le rendre plus curieux; mais je ne sçais si j'y aurai réussi. Je tâche d'y mettre des nottes instructives, pour éclaircir quelques passages de l'antiquité que je crains bien d'embrouiller, à la façon des commentateurs. J'aurais voulu faire tout celà dans vôtre Chambre, et vous consulter à chaque ligne, car je ne suis pas le premier Théologien de ce monde, et vôtre éloquence m'aurait encor plusaidé que vôtre Théologie. J'ai envoié à votre ami L'arien un petit chapitre tout à fait édifiant, qu'il vous aura sans doute montré, car il ne me l'a point rendu. Ce n'est pas dans l'arianisme que je crains de tomber, c'est dans quelque chose en isme qui est pire qu'une hérésie; mais si les malins y trouvent quelques traces de cet abominable isme, j'ai tant de confrères, et de grandissimes confrères, que j'espêre être soutenu dans mon infamie

Sérieusement parlant, je m'éxamine avec le plus grand scrupule; je tâche de montrer les choses les plus absurdes avec le plus profond respect, de ne point donner prise, de présenter sans cesse aux hommes l'adoration d'un Dieu et l'amour du prochain.

Ayez la bonté, je vous en suplie, de donner au porteur la petite esquisse, et le tome du Corneille où est Héraclius. Permettez moi de vous embrasser sans cérémonie, avec autant d'empressement que j'en ai d'avoir l'honneur de vous revoir.