1763-01-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Jacques Élie de Beaumont.

Nôtre ami commun mr D'Amilaville, m'avait envoyé, Monsieur, votre très beau et très solide discours, et je ne croiais pas l'avoir; le titre m'avait trompé; je viens enfin de m'apercevoir de mon erreur, j'ai vu vôtre nom à la 35e page, et je vous ai lu avec un plaisir extrême.
Tout célibataire que je suis, j'avouë que vous faittes très bien de prêcher le mariage. Je suis aussi très fort de vôtre avis sur les défrichements. Je me suis avisé de défricher, ne m'étant pas avisé de peupler; mais voicy comme je m'y suis pris; j'ai assemblé les propriétaires des terres abandonnées, et je leur ai dit, mes amis, je vais défricher à mes frais, et quand la terre sera en valeur, nous partagerons. Je n'ai point fait de citoyens, mais j'ai fait de la terre.

Je me flatte, Monsieur, que vous serez célèbre pour avoir fait une bien meilleure action, pour avoir fait rendre justice à l'innocence opprimée et rouée. Vous avez vu sans doute la Lettre de la religieuse de Toulouse; elle me parait importante, et je vois avec plaisir que les sœurs de la visitation n'ont pas le cœur si dur que messieurs; j'espère que le conseil pensera comme la Dame de la visitation.

Si vous voyez Mr de Cidevile, je vous prie de lui dire combien je l'aime; c'est un sentiment que vos ouvrages m'inspirent pour vous, qui se joint bien naturellement à l'estime infinie avec laquelle j'ai L'honneur d'être, Monsieur, vôtre très humble et très obéïssant serviteur

Voltaire