à Carlsruh le 14 Janv. 1763
Monsieur,
Vous Monsieur qui devés conoitre le câs que je fais de votre souvenir, et le prix dont me sont chaque trait de votre plûme, pourrés mieux comprêndre que persone ma douleur d'avoir été privée jusqu'à cette heure par une maladie du plaisir de vous remercier de la lêttre charmante qu'il vous a plû m'écrire: j'en fus transportée et le Marquis de Bellegarde ne pouvoit se charger de rien qui me fisse plus de plaisir.
Je vous consacre donc ici Monsieur les premiers momêns que je puis manier la plume, trop heureuse de pouvoir enfin vous témoigner une reconoissance dont je suis vivement pénétrée. J'ai bien enviée au Mqus le bonheur de vous avoir vû à Babillone. Si je dépêndois de moi j'irois avec bien de la joye vous trouver dans cêtte capitale vous y porter mês homages, vous y vénêrer, vous y admirer, ce qui me siéroit beaucoup mieux que de vous recevoir ici mon Aumonier come vous dites bien agréablemênt. Enfin Monsieur le désir de vous revoir m'occupe tout entièremênt. Il n'est pas raisonable d'exiger que vous quittiés un Païs de délices, et d'une Philosophie si séduisante, pour vous jetter dans une solitude, mais come les choses dont on se prive un têms aquièrênt de nouveaux charmes, vous devriés vous en arracher, venir vous ennuyer un peu avec nous, emporter nôs coeurs et nôs regrêts, puis rêntrer dans tous les agrémêns que vous seul, sçavés si bien procurer à tous ceux qui vous entourênt. Je me flate Monsieur que vôtre santé vous permêttra un jour cette petite échapâte et que j'aurai la satisfaction de vous renouvêller de bouche ces sentimêns de la plus haute Estime avec la quelle j'ai l'honeur d'être
Monsieur
Votre très affectionée servante
La Margrave de Bade Dourlach