Ferney 5e Janv: 1763
J'ai lu avec attention, Monsieur, une grande partie de l'accord parfait.
C'est un livre où je dirais qu'il y a de fort bonnes choses, si je ne m'étais pas rencontré avec lui, dans quelques endroits où il parle de la tolérance. Il y a, ce me semble, un grand défaut dans ce livre, et qui peut nuire beaucoup à vôtre Cause; c'est qu'il dit continuellement que les catholiques ont toujours eu tort, et les protestans toujours raison; que tous les Chefs des catholiques étaient des monstres, et les chefs des protestans des saints. Il va même jusqu'à mettre Spiphame, Evêque de Nevers, au rang de vos apôtres irréprochables. C'est trop donner d'armes contre soi même; il est permis d'injurier le genre humain, parce que personne ne prend les injures pour lui; mais quand on attaque violemment une secte en demandant grâce, on obtient la haine, et point de grâce.
Je vous répète qu'il est infiniment à désirer qu'un homme Comme vous veuille écrire. Vous seriez lû, et l'accord parfait ne le sera point; il est beaucoup trop long et trop déclamateur, comme tous les livres de cette espèce; il faut être très court, et un peu salé, sans quoi les ministres et made de Pompadour, les Commis et les femmes de Chambre, font des papillotes du livre.
Sous un autre gouvernement, je n'aurais pas osé hazarder quelques petites notes, dont il est très aisé de tirer d'étranges Conséquences; mais je connais assez ceux qui gouvernent, pour être sûr que ces conséquences ne leur déplairont pas. Je pense même qu'il n'y a d'autre moien d'obtenir la tolérance, que d'inspirer beaucoup d'indifférence pour les préjugés, en montrant pourtant pour ces préjugés mêmes, un respect qu'ils ne méritent pas.
Je pense enfin, que l'avanture des Calas peut servir à relâcher beaucoup les chaines de vos frères qui prient Dieu en fort mauvais vers. Je suis convaincu, que si d'ailleurs on a quelque protection à la Cour, on verra clairement que des ignorants qui portent une étole, ne gagnent rien à faire pendre des sçavans à menteau noir, et que c'est le Comble de l'absurdité comme de l'horreur.
Plus je relis les actes des martirs, plus je les trouve semblables aux mille et une nuits, et je suis tenté de croire qu'il n'y a jamais eu que les crétiens qui aient été persécuteurs, pour la seule cause de la religion.
Je vous supplie, Monsieur, de vouloir bien envoyer chez messrs Souchay et Lefort le commentaire de Bayle, sur le Contrains les d'entrer, et la Lettre de L'Evêque d'Agen, par laquelle cet animal veut contraindre d'entrer.
J'ai encor une autre grâce à vous demander, comme à un Docteur hébraïque, qui est pourtant un Français très aimable, c'est de vouloir bien m'écrire en caractères chrétiens, ces mots de la Vulgate, tibi jure debentur. C'est à l'occasion du Dieu Chamos, vous sçavez ce que c'est; il ne sera pas mal de mettre cet hébreu en marge, pour éffraier les ignorants qui prétendraient que ce passage est un argument ad hominem, et qu'il ne veut dire autre chose, sinon, vous pensez vous autres chamochiens que vous possédez de droit ce que Chamos vous a donné. Mais le jure debentur est formel, et un petit mot d'hébreu sera sans réplique.
On m'a mandé de Toulouse, qu'un jeune homme qui allait prier tous les jours à St Etienne sur le tombeau du St martir Marc Antoine Calas, est devenu fou, pour n'avoir pas obtenu de lui le miracle qu'il lui demandait, et ce miracle c'était de l'argent.
On ne peut rien ajouter, Monsieur, ni à ma compassion pour les fanatiques, ni à ma sincère estime pour vous.