à Paris le 28 Mars 1766
Puisque vous voulez bien, Monsieur, me recommander ce saint Pontife Aléxandre 6 et son aimable enfant César Borgia, je vous promets de les traiter avec tous les égards qui leur sont dus.
Les Prèliminaires de l'histoire Ecclésiastique de François 1 m'en donneront l'occasion. Vous me grondez de n'avoir point parlé de Rome, quand je parlois de tout le reste, il me semble pourtant que j'ai beaucoup parlé de Rome, comme d'une Puissance Politique de l'Italie, j'en parlerai comme d'une Puissance Ecclésiastique dans la seconde partie. Je n'en fais pas le fin, c'est le Siècle de Loüis 14 qui m'a servi de modèle pour cette distribution, je vous défie de m'en citer un meilleur, mais sans doute je ne l'aurai pas assez bien suivi.
Nous avons perdu M. Villaret qui continuoit une histoire de France qui va être continuée par M. l'abbé Garnier. Ce M. Villaret écrivoit ma foi bien mieux que vous l'histoire, il me semble que quelquefois il daignoit vous sourire avec une supériorité bien noble, d'autres fois il vous rendoit justice en grand homme, d'autres fois aussi de petites agaceries bien fines, bien mutines mettoient de son côté contre vous tous les gros rieurs sçavans, d'ailleurs bon Parlementaire, bon Janséniste, jamais un Prêtre n'eut raison, jamais un Robin n'eut tort, voilà ce qui s'appelle écrire l'histoire, enfin, c'étoit un homme d'un mérite infini. Eh bien, il est mort ce pauvre homme, et on m'assure que je suis digne de le remplacer, non pas pour la continuation de son histoire de France, qui est donnée comme de raison à un Professeur en hébreu, mais pour une place qu'il avoit de sécrétaire et Garde des Archives de la Pairie; il me semble en effet que je garderai des Archives tout comme un autre, mais elles ne peuvent pas manquer d'être bien gardées, car nous sommes cinq ou six cent qui nous offrons de bonne grâce pour cela, et parmi nous il y a des gens tant sçavans, tant sçavans que cela fait trembler. Nous allons faire un bruit de tous les diables, car ne voilà-t'il pas que tous les Pairs de France, tant Ecclésiastiques que Laïcs vont être bien et dûëment convoqués pour choisir entre nous leur homme, ce sera pis cent fois qu'une Académie. Voyez, Monsieur, si vous voulez figurer dans ce grand événement. M. l'abbé Mignot prétend que vous ne seriez pas éloigné de me rendre sur cela quelques services auprès des Grands auxquels vous auriez d'ailleurs occasion d'écrire pour autre chose, et quelque fût le succès, je serois toujours infiniment flatté d'avoir pû vous intéresser en ma faveur.
Permettez-moi d'assurer Madame Denys de mon respect.
Si M. de Chabanon est encore parmi vous, je le félicite bien de vivre heureux et tranquille dans le temple des Arts, dans le Sanctuaire du Génie
Mais j'espère que je ne mourrai pas sans l'avoir vu aussi ce Ferney, sans avoir adoré en présence le Dieu qui l'habite, ce Dieu l'objet éternel de mon admiration, ce Dieu mon bien faiteur, puisqu'il me procure des plaisirs toujours renaissans et que rien ne peut m'enlever.