[c. 25 November 1757]
…J'ai été passer encore une journée chez Voltaire.
J'y ai été reçue avec des égards, des respects, des attentions que je suis portée à croire que je mérite, mais auxquels cependant je ne suis guère accoutumée. Il m'a fort demandé de vos nouvelles, de celles de Garnier et de tous nos amis. Il s'est mis en quatre pour être aimable; il ne lui est pas difficile d'y réussir; malgré cela à vue de pays j'aimerois mieux vivre de suite avec Monsieur Garnier, qui, par parenthèse, n'est pas vu ici comme il le mérite. Croiriez vous qu'on ne parle que de son collègue lorsqu'il est question du grand ouvrage? J'ai dit ce qui en était et ce que j'ai dû dire, je n'ai dit que la vérité, mais si j'eusse menti je serois cru de même; quand je parle, il y a autant de yeux et de bouches ouvertes que d'oreilles. Cela m'est bien nouveau et me fait rire.
La nièce de Voltaire est à mourir de rire. C'est une petite grosse femme, toute ronde, d'environ cinquante ans, femme comme on ne l'est point, laide et bonne, menteuse sans le vouloir et sans méchanceté, n'ayant pas d'esprit et en paraissant avoir, criant, décidant, politiquant, versifiant, raisonnant, déraisonnant et tout cela sans trop de prétentions et surtout sans choquer personne, ayant par dessus tout un petit vernis d'amour masculin qui perce à travers la retenue qu'elle s'est imposée. Elle adore son oncle en tant qu'oncle et en tant qu'homme. Voltaire la chérit, s'en mocque et la révère. En un mot cette maison est le refuge et l'assemblage des contraires et un spectacle charmant pour les spectateurs.
Voltaire m'a beaucoup plaisantée sur ma confession de La Conge, il prétend que cette démarche ne va point à ce qu'il connoit de moi. Je m'en suis assez bien tirée sans me compromettre, ni dévoiler mes véritables sentimens….