12 octb [1762]
Je suis encor forcé de vous écrire mon cher philosophe sur cette absurde infamie qu'on m'accuse de vous avoir écrite au mois de juin et qu'on vous accuse d'avoir reçue.
Il est important que vous ayez la bonté de me renvoyer la copie que j'ay reçue de Versailles, et copie de la lettre que je vous écrivis en effet, et sur la quelle on a formé cette calomnie abominable, le tout acompagné d'une lettre de vous dans la quelle vous me marquerez avec votre stile énergique ce que vous pensez d'une pareille horreur. J'ay tout lieu de penser que cette copie m'a été envoyée de Versailles par ordre exprès des personnes les plus puissantes, à qui j'ay les dernières obligations, et qui ont le malheur de soupçonner que je les ay payées d'une noire ingratitude, et que je me suis rendu coupable à la fois envers le roy et envers elles de l'excez le plus punissable. Si elles faisaient un moment de réflexion sur les impertinences de cet ouvrage, sur le stile, sur l'impossibilité absolue que j'en sois L'autheur, elles ne feraient pas à leur jugement et à leur goust le tort de me soupçonner, mais le torrent des affaires ne permet pas de réfléchir sur l'innocence des particuliers. On condamne au premier coup d'œil, on passe vite à d'autres objets, on ne donne pas aux accusez le loisir de se deffendre, et l'impression une fois reçue reste pour jamais dans le cœur.
Je n'ay point voulu écrire à ces personnes, par ce que je suis trop en colère, je me suis contenté de témoigner ma juste indignation à une autre personne de leurs amis qui m'a écrit de leur part.
J'écrirai à celuy que je dois détromper et dont le doute seul m'irrite et m'afflige, dès que j'aurai reçu de vos nouvelles.
Encore une fois examinez avec mr Damilaville à qui on a pu donner part de la première lettre que je vous écrivis et que je luy adressai ouverte, sur l'affaire des Calas, vers le mois de juin ou de may.
Je vous réitère que c'est sur cette lettre qu'on a forgé celle qu'on m'impute. Du temps des Séjans on aurait ouvert quatre veines à l'écrivain soupçonné et à son correspondant, mais du temps des braves chevaliers qui sont à la tête des affaires l'innocence sera bientôt reconnue.
Envoyez moy au plus vite, par mr Damilaville, (je vous le répète, car en affaires il faut répéter) 1. ma lettre véritable du mois de juin ou de may sur les Calas, 2. la copie de la rapsodie infâme, 3. un mot de vous qui puisse à la fois faire votre cour et faire rougir ceux qui ont eu d'indignes soupçons.
Je vous embrasse; êtes vous aussi en colère que moy?
Ne manquez pas je vous prie de donner votre paquet à mr Damilaville.