à Ferney 25 septb[1762]
Monsieur,
J'ay reçu votre lettreà table, et nous avons tous pris la liberté de boire à la santé de sa majesté impériale, et de luy souhaitter une vie aussi longue et aussi heureuse qu'elle le mérite.
Monsieur le duc de Villars, fils de l'illustre maréchal dont le nom a pénétré sans doute dans votre cour, était à la tête de nos buveurs. Nous avions quelques philosophes qui s'intéressent à l'enciclopédie. Nous avons tous senti les transports que le magnanimité de votre auguste souveraine doit inspirer. Nous vous avons béni monsieur et sans manquer au respect que nous avons pour sa majesté, nous avons joint votre nom au sien, comme on joignait autrefois celuy de Mécene et celuy d'Auguste.
Je doute que Les savans auteurs qui ont entrepris l'enciclopédie puissent profiter des bontez de sa majesté impériale, attendu les engagements qu'ils ont pris en France. Mais sûrement l'offre que votre excellence leur fait sera regardée par eux comme la plus digne récompense de leurs travaux, et votre nom sera célébré par eux comme il doit l'être.
Il faut avouer qu'il y a beaucoup d'articles dans ce dictionnaire utile qui ne sont pas dignes de Mrs d'Alembert et Diderot parce qu'ils ne sont pas de leur main. Il faudra absolument les refondre dans une seconde édition et mon avis serait que cette seconde édition se fit dans votre empire. Rien ne serait plus honorable aux lettres, et j'ose dire que la gloire de votre illustre souveraine n'en serait pas diminuée. Il n'y a jamais eu que les grands hommes qui aient fait fleurir les arts. L'impératrice sera regardée comme un grand homme. Au reste j'écris fortement à mr Diderot pour luy persuader, s'il est possible d'achever la première édition sous vos auspices. Votre excellence a dû recevoir par la poste de Strasbourg ma réponse aux nouvelles heureuses dont vous m'avez honoré. Je vous réitère mes hommages, ma reconnaissance et tous les sentiments que je vous dois. On commencera l'histoire de Pierre le grand dans peu de mois, on fait fondre de nouvaux caractères.
Il y a déjà six volumes imprimex du Corneille, et il n'est pas possible d'imprimer à la fois ces deux ouvrages dont chacun demande la plus grande attention.
Puisse bientôt la paix rendue à l'Europe laisser aux esprits la liberté de cultiver les arts et de vous imiter.
J'ay écrità mr Boris de Soltikof. Je serais bien fâché qu'un homme de son mérite, et d'un mérite formé par vous, ne conservât pas pour moy un peu d'amitié.
Agrées le tendre respect avec lequel je serai toutte ma vie Monsieur de ve excll le très hum. obéiss. serviteur
Voltaire