13e auguste 1762, aux Délices
Ma santé, Madame, ne me permet guères d'écrire; je suis réduit à dicter, et à me plaindre de ne pouvoir jouïr de la consolation de vous voir.
On passe son temps à former des projets, et on n'en éxécute guères.
L'Epitaphe Latine que vous m'avez envoyée est pleine de solescismes, mais il n'y a pas grand mal; on dira seulement que le prêtre allemand qui l'a composée ne sçavait pas le Latin; ce petit inconvénient n'est pas à considérer dans une si grande perte. Je vois que madame vôtre belle fille aggrave encor vos douleurs; c'est une peine de plus que je partage avec vous. Je me flatte du moins, que vous n'aurez point de procez; ce serait éprouver à la fois de trop grands chagrins.
Vous sçavez qu'on parle beaucoup de paix; plût à Dieu qu'on n'eût jamais fait cette guerre qui vous a été si funeste! Les nouvelles de Russie ont bien dû vous étonner, Madame, peut être mettront elles des obstacles à cette paix tant désirée. Je vois de bien loin toutes révolutions dans mon heureuse retraitte.
J'y serais encor plus heureux si Ferney n'était pas à cent lieues de l'Ile Jars. Je regrêterai toujours les charmes de vôtre commerce; je m'intéresserai toujours tendrement à vôtre conservation et à vôtre bonheur. Conservez moi de bontés qui font ma plus chère consolation.
Recevez les tendres respects de V.