16e juin 1762, aux Délices
Il y a longtemps, Monsieur, que je vous dois des remerciements.
Une maladie assez longue et assez fâcheuse, ne m'a pas permis de remplir ce devoir.
Vous faittes voir qu'on peut tout traduire, puisque vous traduisez les poëtes allemands. L'auteur d'Adam n'est pas comme son héros le premier homme du monde. Je suis d'ailleurs un peu fâché pour nôtre mangeur de pomme qu'à l'âge de neuf cent trente ans il fasse tant de façon pour mourir. Si Dieu daigne m'accorder les trois vingtièmes des années de nôtre père, je vous donne ma parole de mourir très guaïment; et je vous prie de vouloir bien alors m'aider à passer tout doucement en traduisant quelque ouvrage plus plaisant que les lamentations du mari d'Eve, qui devait sçavoir que tout ce qui est né est fait pour mourir, puisqu'il avait la science infuse.
Aureste, vous écrivez si bien que je vous exhorte à vous faire traduire, aulieu de traduire des Tragédies allemandes. Je fais mes compliments à vôtre pupile, et je vous en fais à tout deux de vivre l'un avec l'autre. Je seray très fâché quand madame Dalbertas quittera notre petit pays où elle est adorée.
J'ay l'honneur.