1763-09-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

J'ai reçu la Tragédie hébraïque dont mon cher frère a bien voulu me régaler.
Cet ouvrage est sans doute de quelque jeune prêtre gaillard, tout plein de sa sainte Ecriture, lequel a travaillé dans le goût du révérend père Berruyer. L'Editeur est aussi un plaisant; les noms des personnages sont à faire mourir de rire. La pithonisse, fameuse sorcière en Israël etca. Mais l'éditeur a un peu manqué à la probité en fourant là mon nom. Il m'a toujours paru que mesrs les Libraires avaient pour la probité une extrême négligence.

Je ne crois pas qu'on soit assez bête à Paris pour traitter sérieusement les amours du bon roy David. Je voudrais bien savoir si Lefranc De Pompignan, a traduit en vers magnifiques la belle chanson de l'oint du seigneur, Beatus qui tenebit et alidet parvulos ad petram. L'oint du seigneur était furieusement vindicatif.

Vous avez raison, mon cher frère, il n'y a rien de si difficile que de faire une bonne inscription en deux vers pour une statue, et surtout dans le temps présent.

Si on envoye des troupes en Normandie celà gâtera les deux vers. Je vous demande encor en grâce, mon cher frère, de vouloir bien faire parvenir à mr Mariette ces questions pour mon affaire temporelle et spirituelle.

A l'égard de mes trois vingtièmes, je crois que mr de Marinval vérifie les Etats du receveur de Gex. En tout cas, j'ai payé, et si le parlement de Dijon rend un arrêt contre les vingtièmes, il ne me fera pas rendre mon argent.

Vous devez avoir des honnêtes gens de reste. Vous en êtes vous défait pour le bien des âmes? J'ai grand peur que cette Tragédie de Saül ne fasse grand tort à l'ancien testament. Car enfin, tous les traits raprochés du bon Roy David, ne forment pas le tableau d'un Titus ou d'un Trajan.

Mr Hut, qui a fait imprimer à Londre l'histoire de David, l'appelle sans façon le Néron de la Palestine; personne ne l'a trouvé mauvais; voilà un bien abominable peuple.

Tendresse aux frères.

Ecr. L'inf: